Auteur : Comité Internationale de la Croix-Rouge
Site de publication : Comité Internationale de la Croix-Rouge
Type de publication : Article
Date de publication : 17 mai 2021
Lien vers le document original
L’histoire de Falmata illustre les conséquences fatales des attaques subies par les soins de santé au Nigéria et l’importance de protéger les infrastructures civiles essentielles en période de conflit armé.
« Quand nous sommes revenus, les deux avaient disparu. L’hôpital avait été pillé et vandalisé et le dispensaire incendié. Tout le personnel avait fui. Pendant un moment, il n’y eut plus de soins du tout », explique Falmata.
L’attaque lancée contre Dikwa, à laquelle Falmata fait allusion, tire ses origines de faits qui remontent à 2009. Une insurrection armée avait alors éclaté dans la ville voisine de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno. Au cours des combats qui ont suivi, des centaines de milliers de civils ont été tués ou déplacés dans tout le nord-est du Nigéria.
En mars 2015, des combattants ont envahi plusieurs municipalités de l’État de Borno, dont Dikwa, dont toute la population s’est enfuie à Maiduguri. Avec l’appui de l’armée tchadienne, les forces gouvernementales ont repris Dikwa par la suite et maintiennent depuis un périmètre de sécurité aux abords de la ville.
Aujourd’hui, plus de 100 000 personnes s’entassent au centre-ville de Dikwa et dans plusieurs camps surpeuplés établis autour de la ville. Agriculteurs et éleveurs déplacés constituent les trois quarts de la population. Comme il leur est impossible d’accéder à leurs terres et qu’ils sont privés de leurs moyens d’existence, ils dépendent presque entièrement de l’aide humanitaire pour subsister.
Les ressources sont rares, y compris l’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires. Les prix des denrées alimentaires ont flambé et la malnutrition est de plus en plus répandue. Les gens vendent le savon qu’ils ont reçu des organisations humanitaires parce qu’ils n’ont pas d’autre moyen de gagner de l’argent. La menace du choléra plane en permanence.
Falmata se trouvait dans la marée humaine qui a fui Dikwa en 2014 et 2015. Elle a réussi à mettre ses enfants en sécurité mais a perdu son mari, qui a été tué pendant les violences. Le manque de soins de santé après la destruction des deux établissements médicaux a durement éprouvé la population.
« Plus tard, des organisations d’aide ont rétabli des services médicaux. Aujourd’hui, il y a de nouveau des médecins et un personnel soignant qualifié pour s’occuper des malades. Mais en cas de maladie grave, si le dispensaire ne peut rien faire, il n’y a pas de solution à Dikwa actuellement. Les malades doivent être transférés à Maiduguri et sous escorte militaire, sinon, c’est risqué. »
La destruction des structures médicales et des équipements d’alimentation en eau à Dikwa et aux alentours est attribuable en grande partie au non-respect du droit international humanitaire et des civils, de leurs biens et des infrastructures civiles à leur service
Ces dernières années, des organisations d’entraide internationales et locales ont mis en place un réseau de dispensaires qui prodiguent des soins de santé primaires aux habitants des camps et à la population dans son ensemble, mais il y a peu de services spécialisés et aucun service chirurgical.
Falmata est accoucheuse traditionnelle à Dikwa et tient à ce que les mesures de prévention du Covid-19 soient respectées mais, étant donné la situation des gens, cela demande beaucoup d’efforts au quotidien.
« Certains respectent les règles, d’autres pas. Certains nient que le virus soit une menace et disent qu’il y a des problèmes plus urgents : l’insécurité, l’impossibilité de retourner à leurs fermes, les prix exorbitants, le manque de nourriture. Le virus n’est pas la seule chose dont nous ayons à nous inquiéter. On peut dire aux gens de se laver souvent les mains mais encore faut-il qu’ils aient de l’eau et du savon. Je me souviens que, dans le temps, nous avions des canalisations d’eau ici à Dikwa et un gros générateur installé aux frais du gouvernement si bien que nous pouvions tous avoir de l’eau potable dans nos quartiers. Puis, il y a eu les attaques et les équipements ont été en grande partie détruits », dit Falmata
Lors d’une enquête réalisée en 2019, trois ménages sur quatre dans les camps et deux sur cinq dans le reste de la localité ont déclaré ne pas avoir suffisamment d’eau pour couvrir leurs besoins essentiels. Un an plus tard, la situation n’a pas changé.
Avec l’insécurité dans les campagnes et l’arrivée continuelle de personnes déplacées, la pression démographique est extrême à Dikwa. En même temps, les zones où les personnes déplacées peuvent s’installer ne sont pas extensibles car les pouvoirs publics auraient alors plus de peine à protéger la population contre de nouvelles attaques.
À l’intérieur de la forteresse qu’est devenue la ville de Dikwa, de plus en plus de forages sont effectués et il faut creuser de plus en plus profondément pour alimenter en eau une population qui ne cesse de croître. Pour le dernier forage de puits réalisé par le CICR, il a fallu creuser jusqu’à 350 mètres de profondeur pour trouver une nappe viable et des eaux souterraines propres.
La destruction des structures médicales et des équipements d’alimentation en eau à Dikwa et aux alentours est attribuable en grande partie au non-respect du droit international humanitaire et des civils, de leurs biens et des infrastructures civiles à leur service.
Cette tendance n’est pas nouvelle et ne se limite pas non plus au nord-est du Nigéria. Les guerres de la dernière décennie – en Syrie, au Yémen, en Libye et ailleurs – laissent à penser que les attaques d’infrastructures vitales sont désormais une tactique délibérée et non plus simplement des dommages indirects.