Auteur : Carolina Pessoa
Organisation affiliée : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Type de publication : Article
Date de publication : 2020/2021
Lien vers le document original
La structure sociopolitique sierra-léonaise
Le pays, situé sur la côte ouest-africaine, entouré par la Guinée et le Libéria, abrite des zones diamantifères, responsables en chiffres majoritaires par son économie. À la moitié du XXe siècle et après l’indépendance, la privatisation des monopoles sur la plus grande richesse nationale, ainsi que sur les marchés agroalimentaires et le raffinage du pétrole, au moyen de la concession des droits d’exploitation à des partisans du Sierra Leone People’s Party (SLPP) et du All People’s Congress (APC), s’avère responsable de l’affaiblissement de l’appareil de l’État et de sa faillite financière et militaire.
Par conséquent, le successeur exécutif élu, Joseph Momoh, comme tentative de rétablir l’économie nationale, dont les investissements étrangers n’étaient désormais plus affiliés, se vit contraint de réduire exponentiellement les subventions pour la production pétrolière et agricole, ainsi que le budget consacré à la santé et à l’éducation, cette dernière entendue, sans se détourner de la tradition coloniale sierra-léonaise, un privilège, et non un droit. Lors de la période comprise entre 1963-1975, la vente de diamants représenta jusqu’à 60% des recettes d’exportation de la Sierra Leone et 20% du PIB national, soit une moyenne annuelle de 250 millions de dollars américains (monnaie de 1995). Pendant les années de guerre civile, les statistiques officielles d’exportation ne reflètent manifestement pas exactement la production totale de diamants en Sierra Leone, vu qu’une grande partie de la production fut effectuée illicitement.
L’instabilité politique et l’éclosion des agressivités
Le vulnérable cadre sociopolitique sierra-léonais ouvre chemin pour ce que les grands opposants au pouvoir trouvent espoir et refuge sous l’abri du Front Révolutionnaire Uni (l’acronyme RUF, en anglais), érigé par Abu Kanu, Rashid Mansaray et par celui auquel le groupe rebelle est le plus souvent associé, Foday Sankoh. Lors des recrutements de combattants au sein du Front Patriotique National du Libéria (FPNL), le RUF réussit en 1989 à obtenir un appui fondamental pour son expansion, offert par Charles Taylor, président du Libéria.
En échange d’un soutien moral et militaire, ce dernier obtient approximativement 200.000 dollars par an entre 1991 et 19994 par le biais du commerce illégal des « diamants sanglants » sierra-léonais, obtenus par l’intermédiaire du Front et ultérieurement frauduleusement identifiés en tant que d’origine libérienne et exportés.
Dans ce contexte, la date du 23 mars 1991, inaugura à la Sierra Leone une période plus grave d’instabilité et incertitude politique, d’agressivités incommensurables, disproportionnées et immotivées envers la population civile, désagrégée en grand nombre sous la coercition des circonstances.
L’Accord d’Abidjan, du 30 novembre 1996
Conduit par Foday Sankoh, le RUF, assisté par le FPNL, du Libéria, entreprend des attaques à l’est de Sierra Leone et prend contrôle d’importantes fractions du territoire, y compris de réserves diamantifères, ce qui fut fortement viabilisé par le manque de résistance effective du gouvernement démocratique de Momoh. Au dépit d’un coup d’État dont il fut l’objet, avec la restauration de la scène politique nationale, le nouveau président élu, Ahmad Tejan Kabbah, réussit à signer l’Accord de Paix d’Abidjan avec Sankoh, le 30 novembre 1996.
En échange d’un soutien moral et militaire, ce dernier obtient approximativement 200.000 dollars par an entre 1991 et 19994 par le biais du commerce illégal des « diamants sanglants » sierra-léonais, obtenus par l’intermédiaire du Front et ultérieurement frauduleusement identifiés en tant que d’origine libérienne et exportés
Néanmoins, l’accord est arbitrairement rompu lorsque le RUF réalise de nouvelles incursions dans les provinces de l’est de Sierra Leone. Kabbah expérimente lui aussi une retraite offensive du pouvoir au profit du Conseil Révolutionnaire des Forces Armées (FARC), représenté par Johnny Paul Koroma et avec Sankoh comme vice-président.
L’Accord de Paix de Lomé, du 7 juillet 1999
Lors de son nouveau mandat, Kabbah achève le 7 juillet 1999 la signature de l’accord de paix de Lomé, qui conférait, en vue d’atteindre une paix durable, l’amnistie « pour tous les crimes et délits commis par tous les combattants durant le conflit depuis mars 1991 », et la libération des prisonniers de guerre et des non-combattants, afin de « consolider la paix et promouvoir la cause de la réconciliation nationale ».
L’accord inaugura également la Commission de Vérité et Réconciliation, afin de récolter les doléances des victimes et des auteurs des hostilités à travers leur écoute sécurisée y compris celles des enfants soldats, ce qui permettrait « une meilleure vue des événements passés, en vue de faciliter le pardon et la réconciliation véritables » ; et afin de faire des recommandations concernant les « mesures à prendre en vue de la réhabilitation des victimes des violations des droits de l’homme ».
Les prémisses et les obstacles au constat d’une paix durable
La réussite de l’instauration d’un processus de paix positive et durable implique l’éloignement militaire des parties combattantes en parallèle à un étroitement de leur collaboration dans l’aspect politique. Même si l’Accord de Lomé conférait à des représentants du RUF la présidence et deux des neuf postes de la Commission Chargée de l’Exploitation et de la Gestion des Ressources Stratégiques, de la Reconstruction Nationale et du Développement (CMRRD), cupides de leurs ambitions financières au détriment des politiques, les rebelles reprennent à bref délai les hostilités envers les civils et contre la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL).
Au dépit d’un coup d’État dont il fut l’objet, avec la restauration de la scène politique nationale, le nouveau président élu, Ahmad Tejan Kabbah, réussit à signer l’Accord de Paix d’Abidjan avec Sankoh, le 30 novembre 1996
Fondée sur le chapitre VII de la Charte de l’ONU17 pour mettre fin aux rapports de forces entre les parties et qui avait atteint le plafond autorisé, du contingent de 17.500 soldats ou « casques bleus » en 2001. Avec la résolution 1343, le Conseil de Sécurité exige la fin du soutien financier, militaire et moral apporté par le Libéria au RUF en Sierra Leone et impose la cessation de toute importation des diamants bruts sierra-léonais non contrôlés par le gouvernement et la mise en place au sein de la MINUSIL d’un régime efficace de certificats d’origine applicable au commerce de diamants bruts.
Les compétences du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone
L’amnistie attribuée par l’Accord de Lomé « ne s’appliquait pas aux crimes internationaux de génocide, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et aux violations graves du droit international humanitaire », domaines qui sont couverts par la compétence ratione materia du Tribunal Spécial résiduel pour la Sierra Léone.
En outre, différemment des tribunaux ad hoc pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie, le caractère conventionnel du Tribunal pour la Sierra Léone, issu de l’accord entre le gouvernement sierra-léonais et l’ONU, et non d’un acte unilatéral du Conseil de Sécurité, fait que cette compétence s’étende aussi aux violations à la législation nationale sierra-léonaise, et l’institution acquiert ainsi une nature hybride ou mixte, comme sont les cas également des tribunaux pour le Cambodge, le Timor Oriental, le Kosovo et le Liban.
L’accord inaugura également la Commission de Vérité et Réconciliation, afin de récolter les doléances des victimes et des auteurs des hostilités à travers leur écoute sécurisée y compris celles des enfants soldats
L’héritage du Tribunal Spécial
Lors de sa période active, le Secrétaire général, Kofi Annan, rencontra le Président de la Sierra Leone, Ahmed Tejan Kabbah, et assura le soutien continu des Nations Unies dans le pays après le retrait de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL), notamment dans le cadre des élections, menées pacifiques en 2006 et en 2007.
En 2005, l’ONU crée la Commission de Consolidation de la Paix, et des actions préventives dans le cadre du maintien de la paix, unie à des programmes de développement, sont reconnues plus efficaces que celles de gestion des conséquences post-conflictuelles.
La résilience du peuple sierra-léonais a collaboré en ce que le pays réussisse à traverser des crises récentes, telles que l’épidémie du virus Ebola en 2014 et, aujourd’hui, la Sierra Leone se révèle l’une des nations les plus tolérantes en termes de religion, les violences, comme de tradition, étant majoritairement issues de désagréments politiques. Le pays a également surmonté la crise financière la plus importante depuis 2001, originaire de l’écrasement des prix des matières premières en 2015 et en 2016.