Auteurs: Célie Teheux et Koen Van Troos
Organisation affiliée: Vétérinaires sans frontières
Type de publication: Rapport
Date de publication: Septembre 2019
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Le lait local en Afrique de l’Ouest: un potentiel non-négligeable
La production
En Afrique de l’Ouest, la production laitière est assurée par des modèles pastoraux extensifs, des modèles paysans agro-pastoraux et des modèles urbains. En termes de production, ce sont les modèles pastoraux traditionnels extensifs qui dominent dans le secteur laitier des pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMAO). Ces modèles y représentent 70% de la production du lait local, avec un cheptel pouvant aller de 3,3 millions de têtes au Sénégal à 9,8 millions de têtes au Niger. Si on prend l’exemple du Niger, du Mali, et du Burkina Faso, l’élevage contribue à hauteur de 11% à 18% au PIB; la production de lait de vache y représente 20 à 40% du chiffre d’affaire de l’élevage. De plus, le Mali et le Niger s’avèrent être les plus gros producteurs de lait, ce qui s’explique par la grandeur de leur cheptel: 9,2 millions de têtes de bétail et 309 millions de litres de lait de vache par an au Mali, contre 9,8 millions de têtes et 486 millions de litres pour le Niger.
Les systèmes pastoraux extensifs sont basés sur la mobilité des troupeaux et des communautés d’éleveurs s’adaptent à l’environnement et se déplacent à la recherche d’eau et des pâturages de qualité. Ayant une très bonne connaissance du milieu qui les entoure, ils savent dans quelle direction aller pour accéder à des pâturages de meilleure qualité. Les systèmes pastoraux sont des systèmes mixtes, produisant à la fois de la viande et du lait, bien que la production laitière ne soit pas forcément considérée par les éleveurs comme une activité économique intéressante. Entre 70 et 80% des producteurs considèrent le lait comme une production secondaire à leur exploitation, leur principale production étant la viande.
La production laitière dans les systèmes pastoraux est caractérisée par plusieurs éléments importants, dont entre autres l’autoconsommation. Pour les producteurs pastoraux, le lait est avant tout un produit qu’ils utilisent eux-mêmes pour la croissance des veaux, ou comme aliment. En effet, le lait constitue une ressource alimentaire primordiale pour les familles d’éleveurs pastoraux. La plupart consomment d’ailleurs leur propre lait. Au Burkina Faso par exemple, 80% de la production laitière est autoconsommée.
Néanmoins, de plus en plus, les systèmes pastoraux commencent à évoluer et à s’intensifier. En effet, on constate que certaines familles tendent à se (semi-)sédentariser et à développer des cultures fourragères ainsi qu’à stocker de l’herbe de brousse fauchée. Les éleveurs pastoraux évoluent donc vers le modèle paysan agro-pastoral qui intègre l’agriculture et l’élevage. Contrairement au modèle pastoral, celui-ci utilise des compléments disponibles localement pour nourrir les troupeaux en période sèche.
La collecte et la transformation
En zone rurale, seule une très petite partie du lait issue de la production agro-pastorale est collectée et transformée. Généralement, cette partie ne dépasse pas les 10% de la production régionale. Ce lait est principalement collecté par des mini-laiteries dont le nombre est en augmentation depuis 20 ans. A titre d’exemple, en 2000 on trouvait 19 mini laiteries au Burkina-Faso, 8 mini-laiteries au Mali et 2 mini laiteries au Niger. En 2010, dans ces mêmes pays, on trouvait respectivement 47 mini-laiteries, 23 mini-laiteries et 12 mini-laiteries.
Si on prend l’exemple du Niger, du Mali, et du Burkina Faso, l’élevage contribue à hauteur de 11% à 18% au PIB; la production de lait de vache y représente 20 à 40% du chiffre d’affaire de l’élevage. De plus, le Mali et le Niger s’avèrent être les plus gros producteurs de lait, ce qui s’explique par la grandeur de leur cheptel: 9,2 millions de têtes de bétail et 309 millions de litres de lait de vache par an au Mali, contre 9,8 millions de têtes et 486 millions de litres pour le Niger
Les mini-laiteries se définissent comme «des unités, situées généralement en zone périurbaine, produisant des produits laitiers divers et les vendant localement à petite échelle. Elles disposent d’un réseau de collecte et de distribution.
A côté des mini-laiteries, il existe également des centres de collecte paysans multi-services, nouveaux acteurs dans la filière laitière locale, principalement au Niger et au Mali. Ces centres ont pour but de faire le lien entre les producteurs et les industriels. Ils se caractérisent par: une diversité de services (la collecte mais aussi la commercialisation, l’approvisionnement en aliment du bétail et le conseil technique); une gouvernance paysanne; l’appui sur un bassin de production; la liaison avec un industriel (demandeur de lait local en quantité et qualité); la collecte plutôt que la transformation (à la différence des mini-laiteries).
La commercialisation
En zone rurale, Il n’est pas rare que les éleveurs – et dans la plupart des cas les femmes/éleveuses – transforment eux-mêmes leurs produits et le vendent dans les circuit courts. Sur ce même marché, on retrouve donc le lait cru vendu par les femmes des éleveurs et le lait pasteurisé, vendu par les mini-laiteries qui l’ont transformé. En effet, tout comme pour la collecte et la transformation, les mini-laiteries font également partie des acteurs les plus importants dans la commercialisation du lait en zone rurale en Afrique de l’Ouest. Les mini-laiteries achètent le lait aux producteurs, le transforment et le vendent, au détail ou directement sur les marchés locaux.
En zone (péri-)urbaine, les laiteries de plus grande taille jouent aussi un rôle important dans la commercialisation du lait. Généralement privatisées et ayant un but lucratif, elles sont relativement déconnectées de la production laitière locale. Les fermes urbaines écoulent aussi leur lait (frais et caillé) et ses sous-produits sur les marchés des grandes villes.
En ville comme en zone rurale, la vente de lait peut se faire directement du producteur au consommateur via du porte à porte ou sur des marchés locaux. Dans ce cas, ce sont souvent les producteurs qui transforment eux-mêmes leurs produits.
Suite à l’arrivée du lait en poudre, relativement moins cher et facile d’utilisation, plusieurs petites entreprises apparaissent (cafés, restaurants, marchés, cantines) et évoluent dans le secteur informel. Ces dernières s’adaptent très vite à la demande croissante des villes et commercialisent des (sous-)produits à base de lait en poudre comme le yaourt par exemple. Les grandes enseignes de supermarché suivent le même chemin et commercialisent elles aussi principalement du lait en poudre.
Contraintes pour le lait local
Malgré cette évolution plutôt positive, plusieurs obstacles empêchent encore le lait local d’exprimer son plein potentiel en Afrique de l’Ouest, notamment le rendement peu élevé de la production et sa saisonnalité. Au sein des systèmes pastoraux en zone rurale, le rendement laitier est relativement faible: une vache moyenne produit entre 1 et 4 litres de lait par jour. Ceci est dû entre autres au caractère peu productif des races locales et à un usage pratiquement nul des compléments alimentaires pour le bétail. Par ailleurs, la production varie fortement selon les saisons, avec une production plus élevée pendant la saison pluvieuse et une production très basse pendant la saison sèche. Cette variation influence toute la chaîne de valeur, puisqu’elle empêche d’assurer une production constante tout au long de l’année. Dès lors, les unités de collecte et de transformation se tournent vers le lait en poudre pour continuer à fonctionner.
Un autre obstacle, qui découle en partie de la saisonnalité de la production, est l’éloignement entre zones de production et zones de collecte/transformation. Au sein des systèmes pastoraux, les élevages se trouvent souvent dans des zones difficilement accessibles ou sont régulièrement en mouvement, ce qui rend la collecte parfois compliquée et onéreuse (ce sont généralement des collecteurs privés qui fournissent les mini-laiteries). Par conséquent, le lait collecté met du temps avant d’arriver jusqu’aux mini-laiteries, ce qui impacte sa fraicheur et donc sa qualité.
A cette première contrainte s’ajoute un manque d’investissement dans les zones rurales et dans la production laitière en particulier, qui se traduit un manque d’infrastructures et influe négativement sur le prix du lait local. A titre d’exemple, en 2017 et 2018, le prix payé au producteur pour un litre de lait local au Burkina Faso, au Niger, au Mali et au Sénégal, était de 250 FCFA (vente directe en zones rurales), 500 FCFA (vente directe en zones urbaines) et 300 FCFA (vente au collecteur ou au transformateur). Au cours de la même période, le prix du lait en poudre importé dans ces pays était de 304 FCFA pour 1 litre de poudre de lait entier et 198 FCFA pour un litre de mélange de poudre de lait écrémé (prix payé par le transporteur). Cette différence de prix reflète des conditions de production beaucoup plus favorables et la subvention des importations de lait en poudre.
Mais le principal frein au développement du lait local en Afrique de l’Ouest reste politique, que ce soit au niveau national (manque d’investissement dans la filière) ou commercial. Les relations commerciales entre l’Union européenne et les pays de l’Afrique de l’Ouest favorisent l’importation de lait en poudre à bas prix dans la région.
La valorisation du lait local en Afrique de l’Ouest à travers trois modèles entrepreneuriaux
La majorité du lait local en Afrique de l’Ouest est valorisé à travers des circuits dans lesquels les mini-laiteries constituent des éléments structurants. Les mini-laiteries sont en effet des structures organisées, qui assurent la coordination des activités de valorisation du lait local. Ces laiteries sont de véritables petites entreprises qui commercialisent les produits qu’elles transforment. Ainsi, elles parviennent à valoriser le lait issu des systèmes agro-pastoraux. Au niveau de la collecte par exemple, elles obligent les éleveurs à s’organiser pour assurer une collecte collective, ce qui a un impact positif sur la qualité du lait fourni à la mini-laiterie. En effet, en cas de collecte collective, le lait de tous les producteurs est mélangé avant d’être livré à la mini-laiterie. Les éleveurs doivent donc redoubler de vigilance par rapport à la qualité de leur lait, car une seule portion de lait de mauvaise qualité peut contaminer l’ensemble de la collecte et mettre en péril le revenu de tous les producteurs. Dans les modèles structurés autour des mini-laiteries, on distingue deux sous-modèles sur base de l’implication du secteur privé:
- le sous-modèle coopératif intégral, dans lequel il n’y a qu’un seul acteur privé – l’association des producteurs/ la coopérative – qui structure toute la filière, de la production jusqu’à la vente;
- le sous-modèle mixte, dans lequel plusieurs acteurs privés sont impliqués.
Le sous-modèle coopératif intégral
Ici, ce sont les coopératives et les associations d’éleveurs qui interviennent à chaque maillon de la chaîne de valeur (production, collecte, transformation et commercialisation). Les coopératives représentent les intérêts communs des éleveurs. Ce type de laiterie en coopérative possède plusieurs avantages, le premier étant sans aucun doute son ancrage local. La coopérative, qui regroupe les éleveurs, promeut la production laitière locale et par conséquent a un effet positif sur l’économie locale. Grâce à sa structure coopérative, les revenus sont répartis entre les producteurs, apportant ainsi une sécurité financière à chacun. De plus, comme la coopérative organise également la vente des produits transformés (commercialisation), elle en contrôle la qualité, ce qui est fortement apprécié par les consommateurs. Il faut également souligner l’importance du modèle pour l’émancipation des femmes, souvent membres de la coopérative. Travailler au sein de la coopérative leur permet de générer un revenu qui leur est propre.
Au sein des systèmes pastoraux, les élevages se trouvent souvent dans des zones difficilement accessibles ou sont régulièrement en mouvement, ce qui rend la collecte parfois compliquée et onéreuse (ce sont généralement des collecteurs privés qui fournissent les mini-laiteries). Par conséquent, le lait collecté met du temps avant d’arriver jusqu’aux mini-laiteries, ce qui impacte sa fraicheur et donc sa qualité
Ce modèle n’est cependant pas parfait et est souvent confronté à des difficultés, notamment au niveau de la fidélisation des éleveurs. Bien que ceux-ci fassent partie de la coopérative qui gère tout le processus de la production à la commercialisation, ils peuvent dans certains cas choisir de fournir leur lait à d’autres mini laiteries qui leur offrent un prix supérieur pour leur lait. De plus, par manque de moyens financiers, les mini laiteries fonctionnant selon un modèle entièrement coopératif n’ont pas toujours la possibilité de fournir des services aux producteurs en plus de leur rémunération.
Le sous modèle mixte
Ce modèle implique l’implication de plusieurs acteurs privés dans la valorisation du lait local. La (mini-)laiterie est généralement gérée par une coopérative – souvent de femmes – mais les éleveurs/producteurs fournissant le lait à la mini-laiterie n’en sont pas actionnaires. Ce sous modèle permet aux coopératrices de tirer des bénéfices directs de la vente du lait, leur permettant ainsi de passer d’un statut de vendeuses ambulantes à un statut de vendeuses collectives dans un cadre formel. Ce modèle présente différents avantages pour les éleveurs, notamment les services qui leur sont offerts par la coopérative/(mini-)laiterie (accès plus facile à l’alimentation du bétail à travers des banques d’aliments pour le bétail) et, de manière générale, une rémunération plus élevée pour leur lait. Cependant, le principal désavantage du modèle est que les attentes et intérêts des producteurs peuvent diverger puisqu’ils ne sont pas actionnaires, ce qui peut mener à des conflits. De plus, les prix ne sont pas souvent fixés de manière formelle.
Les centres de collecte multi-services
Les centres de collecte multi-services constituent un deuxième modèle entrepreneurial de valorisation du lait local. Ces centres sont généralement gérés par les éleveurs. Leur mode de fonctionnement n’est pas tout à fait le même que celui des mini-laiteries. Ils travaillent avec des collecteurs privés qui achètent le lait aux éleveurs pour le revendre ensuite aux centres. Travailler avec des collecteurs privés permet d’améliorer la quantité et la qualité du lait local, car les collecteurs vont chercher le lait chez les éleveurs – qu’ils obligent souvent à se regrouper – et font un premier contrôle de qualité. Les centres fournissent aussi plusieurs services aux producteurs comme un accès constant à de l’alimentation pour le bétail et à des conseils techniques et vétérinaires.
Les laiteries industrielles
Dans ce modèle, la laiterie industrielle organise la chaîne de valeur. Tous les acteurs au sein de ce modèle sont indépendants les uns des autres : les producteurs ne se réunissent pas vraiment et les laiteries sont des entités privées qui ne sont pas gérées par des coopératives. Le bénéfice de ce modèle revient au producteur individuel: il peut choisir la laiterie qui lui offre le meilleur prix pour son lait. Ce modèle fait donc concurrence aux mini-laiteries, qui ne sont pas souvent capables d’offrir un prix aussi intéressant aux producteurs. Dans certains cas, les laiteries industrielles essaient de fidéliser les producteurs en leur offrant des débouchés sûrs et des services (soins vétérinaires et aliments bétail).
L’atout principal de ce type de modèle est qu’il permet de développer des laiteries de plus grande taille, avec des rayons de collecte plus importants, et donc d’augmenter la quantité de lait collectée. De plus, il permet de créer de nombreux emplois et fournit des services intéressants aux éleveurs. Cependant, comme la laiterie est une entité privée indépendante, ses intérêts peuvent diverger de ceux des producteurs qui lui fournissent du lait. Dès lors, à la saison sèche, et même parfois à la saison des pluies, il arrive que certaines laiteries se fournissent en lait en poudre importé pour répondre aux demandes croissantes, notamment des centres urbains, plutôt que de se fournir auprès des producteurs locaux (Laiterie du berger).
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