Auteur : Danielle TAN
Site de publication : Handicap international
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2020
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Introduction
La situation éducative des filles handicapées en Afrique de l’Ouest
L’absence de données sur le handicap est citée par les acteurs comme l’une des raisons de la faiblesse des réponses à l’éducation des enfants handicapés.
Selon les meilleures estimations, dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, environ 40 % des enfants handicapés ne sont pas scolarisés dans le primaire et 55 % dans le premier cycle du secondaire, bien que ces chiffres puissent varier énormément d’un pays à l’autre. Le taux d’alphabétisation des adultes handicapés est de 3 %. Pour les femmes, il est encore plus faible, soit 1 %. Mais d’après une étude du GPE, dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne étudiés — dont le Mali, le Niger et le Burkina Faso — moins de 5 % des enfants handicapés sont scolarisés dans le primaire.
Il existe peu de structures spécialisées et elles sont généralement localisées en capitale et dans les grands centres urbains. Elles ne sont pas en capacité d’accueillir un grand nombre d’enfants. De plus, les coûts en école spécialisée sont élevés.
Au Burkina Faso, les OPH et organisations religieuses et/ou caritatives ont joué un rôle pionnier depuis les années 1970 en matière d’éducation spécialisée puis inclusive. Elles dominent toujours très nettement le terrain de l’éducation inclusive. Grâce au soutien des fondations et des ONG, elles ont développé une expertise et des projets innovants. Toutefois, le manque de financements et de partenaires ne leur permet pas de développer des projets à l’échelle de leurs ambitions, notamment en couvrant tous les cycles et tous les types de handicaps.
A partir de 2007, les gouvernements du Burkina Faso, du Niger et plus récemment du Mali, se sont progressivement engagés dans l’élaboration de stratégies d’éducation inclusive, mais les défis à relever restent très importants. Ces pays manquent encore de politiques éducatives inclusives au niveau national et local. Le handicap est encore trop souvent abordé selon une approche médicale, et les gouvernements ne traduisent pas toujours la Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées — signée en 2007 par les trois pays — en une politique réalisable. Les gouvernements reconnaissent toutefois les limites de l’éducation spéciale car ce système ne touche qu’un nombre limité de personnes handicapées et pour un coût élevé.
L’analyse intersectionnelle pour mieux répondre aux besoins des filles handicapées
Les filles handicapées sont davantage sujettes à l’isolement, la stigmatisation et la discrimination. Elles ont moins de chances de recevoir une éducation ou une formation professionnelle ou de trouver un emploi que les garçons handicapés ou les filles non-handicapées, et elles sont plus exposées aux risques d’abus, y compris la violence sexuelle sous toutes ses formes. Les femmes handicapées sont deux fois plus susceptibles, et les filles handicapées sont jusqu’à quatre fois plus susceptibles d’être touchées par la violence que leurs pairs non handicapés.
Il existe peu de structures spécialisées et elles sont généralement localisées en capitale et dans les grands centres urbains. Elles ne sont pas en capacité d’accueillir un grand nombre d’enfants. De plus, les coûts en école spécialisée sont élevés
Pourtant, choisir de ne pas investir dans une éducation de qualité pour toutes les filles et tous les garçons serait très coûteux pour le développement économique et humain. La perte de revenu associée aux discriminations de genre dans les institutions sociales est estimée à 120 milliards de dollars pour l’Afrique de l’Ouest. En revanche, offrir le même niveau d’éducation aux filles et aux garçons pourrait rapporter plus de 308 millions de dollars par jour aux pays les plus pauvres.
Résultats et discussions
Influence de la religion et des croyances populaires dans l’éducation des filles handicapées au Mali, Niger et Burkina Faso
Le handicap est le plus souvent considéré comme une « tragédie », un « drame », une « punition » infligée à la famille pour avoir injurié les mauvais esprits et conduit à la discrimination et à la honte sur tous les membres. Le plus souvent, le mauvais sort est attribué à la mère pour avoir enfreint des interdits. Au Niger, certaines mères quittent la communauté pour échapper à la stigmatisation.
Cette perception négative est accentuée pour certains handicaps sévères (notamment la déficience intellectuelle, le polyhandicap ou la paralysie cérébrale et l’albinisme) et au détriment des filles. Les enfants sont parfois cachés et ne sont pas enregistrés à l’état civil. Au Niger, les filles avec un handicap sévère sont plus susceptibles d’être abandonnées ou tuées à la naissance et elles ont des taux de mortalité plus élevés que leurs homologues masculins. Selon certaines croyances populaires dans les trois pays, les corps des personnes handicapées, et notamment des personnes atteintes d’albinisme et des personnes avec une déficience intellectuelle, possèdent des propriétés magiques. Les pratiques consistent à maltraiter, mutiler ou tuer des personnes handicapées pour obtenir des parties de leur corps en vue de les utiliser dans des rituels, des potions ou des amulettes avec la promesse d’aider les individus à s’enrichir, à gagner en importance sociale, à réussir en amour ou à vaincre leurs concurrents. Au Mali, leurs organes sont particulièrement recherchés lors des élections par ceux qui sont convaincus qu’il s’agit d’arracher le membre d’un albinos pour remporter un scrutin.
En raison de la pauvreté, l’accès aux soins des enfants handicapés est faible et de mauvaise qualité. Les parents sont particulièrement sensibles aux remèdes des guérisseurs et des tradipraticiens qui ne font souvent qu’aggraver la santé de leurs enfants, ou sont fatalistes.
Les discriminations spécifiques liées à l’âge
Comme pour les filles non-handicapées, la variable « âge » intervient très souvent en aggravant la discrimination à l’encontre des filles handicapées par rapport aux garçons handicapés, notamment à cause de la différence de traitement du genre liée à la puberté.
Des difficultés accrues à cause de la pauvreté et du lieu de résidence
Les recensements et les études montrent que les chances pour un fille handicapée d’être scolarisée dépendent aussi bien de son milieu socio-économique, du niveau d’éducation du chef de famille que de son milieu de résidence. « L’éducation des enfants handicapés, c’est surtout un problème de pauvreté.
Si une fille handicapée vient d’une famille riche, elle n’aura pas de problème pour aller à l’école », constatent tous les acteurs. Mais résider en milieu rural est nettement plus préjudiciable à la scolarisation d’un enfant que le fait d’être une fille. Être fille orpheline des deux parents en milieu rural limite considérablement les chances de scolarisation. De même, être fille avec un handicap en milieu rural constitue un obstacle majeur à la scolarisation. Des disparités importantes subsistent également au sein même des pays, entre régions.
Les filles handicapées sont davantage sujettes à l’isolement, la stigmatisation et la discrimination. Elles ont moins de chances de recevoir une éducation ou une formation professionnelle ou de trouver un emploi que les garçons handicapés ou les filles non-handicapées, et elles sont plus exposées aux risques d’abus, y compris la violence sexuelle sous toutes ses formes. Les femmes handicapées sont deux fois plus susceptibles, et les filles handicapées sont jusqu’à quatre fois plus susceptibles d’être touchées par la violence que leurs pairs non handicapés
Les spécificités liées au type et à la sévérité du handicap
Parmi tous les types de handicap, les enfants avec une déficience physique ont moins de difficulté à être scolarisés dans une école ordinaire près de chez eux à condition d’améliorer l’accessibilité des établissements (rampes et toilettes adaptées, aides à la mobilité).
Les enfants avec des déficiences visuelles, auditives et surtout intellectuelles ont plus de difficulté à être pris en charge. La plupart du temps, il n’existe pas de solutions pour les enfants avec des handicaps plus sévères.
Les violences basées sur le genre et les enjeux de protection liés aux filles handicapées
Les études montrent que les mauvais traitements infligés aux femmes handicapées dépassent de loin ceux des femmes non-handicapées. Les filles handicapées sont également plus vulnérables que les garçons handicapés et plus exposées aux mauvais traitements, à la maltraitance et aux violences sexuelles.
Des programmes de protection sur la santé sexuelle et reproductive et de sensibilisation aux violences basées sur le genre sont à développer pour garantir leur intégrité physique et psychologique et prévenir les abus sexuels. Les OPH alertent sur le problème de la prise en charge de la fille handicapée si celle-ci est victime de viol et de grossesses non-désirées car « elle ne peut pas rester dans la famille, elle est abandonnée et doit se débrouiller seule ».
Analyse des éléments facilitateurs et recommandations
Parents d’enfants handicapés & enfants handicapés
- Changer les attitudes et les mentalités en véhiculant plus d’images positives de femmes handicapées dans la sphère publique.
- Sensibiliser le public aux problèmes de violence à l’égard des femmes et des filles handicapées.
- Sensibiliser les parents : enregistrement à l’état civil, sur les droits et la santé des enfants handicapés, les effets néfastes du mariage précoce, les bénéfices de la scolarisation des filles, etc.
- Organiser des campagnes de sensibilisation nationales et locales en invitant des femmes/filles handicapées qui sont des modèles de réussite : par exemple des caravanes itinérantes utilisant les réseaux sociaux, la télévision, la radio, le cinéma ou le théâtre.
Parents d’enfants non-handicapés et enfants non-handicapés
- Constituer des binômes (entre enfants handicapés et non-handicapés) pour susciter de l’empathie, de la solidarité et de l’entraide en classe.
Leaders politiques, religieux et communautaires
- Sensibiliser les leaders politiques, religieux et les chefs coutumiers à la question du genre, du handicap et de l’éducation inclusive.
Associations de femmes, Organisations de Personnes Handicapées & structures promotrices d’éducation inclusive
- Produire un guide des bonnes pratiques en éducation inclusive en intégrant les enjeux relatifs aux filles handicapées en coopération avec les associations de promotion des femmes, les OPH, et les structures d’éducation inclusive.
Acteurs éducatifs
- Revoir les curricula, adapter les supports pédagogiques au genre et au handicap. Réviser les conditions et contenus des examens et des concours pour certains types de handicap. Inclure des figures de femmes handicapées dans les supports pédagogiques.
- Former les enseignants à détecter les situations de violences sexuelles/mariages précoces/d’exploitation à l’égard des filles handicapées et à les accompagner/orienter.
- Sensibiliser sur les questions relatives à l’hygiène menstruelle de manière inclusive et mettre à disposition des filles handicapées et non-handicapées des protections périodiques dans les écoles. Mettre en place des systèmes d’entraide entre les filles handicapées et non- handicapées.
Institutions & Politiques publiques
- Traduire les textes de loi dans les différentes langues, les vulgariser, et informer les personnes handicapées sur leurs droits à travers des campagnes de sensibilisation (en utilisant la télévision, la radio, les réseaux sociaux, etc.).
- Accorder des subventions aux familles d’enfants handicapés sous forme de bourses (pour le transport et l’alimentation), de fournitures scolaires et de matériels didactiques spécialisés (livres et manuels en braille, tablettes, papier, alphabet en langue des signes, etc.) tout le long de leur scolarité, ainsi que des bourses pour les enfants handicapés accédant au cycle secondaire.