Auteurs : Abdeljalil Akkari, Ydo Yao
Organisation affiliée : UNESCO
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2022
Quelques constats de départ : prédominance des langues étrangères malgré de timides expérimentations
Premier constat : Comment, en Afrique, l’école a-t-elle traité les langues maternelles, premières et locales ? Elle les a largement exclues implicitement ou explicitement de son espace.
Les langues officielles majoritairement utilisées à l’école comme langues d’instruction et de scolarisation ont ainsi obtenu une légitimité, une visibilité et un pouvoir accrus. Dès lors, certaines minorités linguistiques vont être automatiquement considérées comme culturellement éloignées de la forme scolaire et ainsi se retrouver en marge des institutions éducatives.
En Afrique, ce processus a été renforcé par la colonisation et consolidé par les premières décennies des indépendances. Par peur des divisions ethniques ou ethno linguistiques et par une volonté de s’accrocher à des langues internationales (anglais, français, portugais, espagnol), réputées porteuses de modernité, d’ouverture et de développement (y compris dans leurs versions anticoloniale et marxiste), beaucoup de pays africains ont choisi le statu quo et l’inertie en matière de politiques linguistiques et scolaires.
Deuxième constat : il est très difficile de faire une réforme de la langue d’instruction utilisée à l’école en transformant des langues locales ignorées et minorisées pendant longtemps en langues d’instruction et de scolarisation pour de nombreuses raisons : par exemple, le manque de moyens et les priorités éducatives (il en existe de nombreuses avant de pouvoir s’intéresser aux langues…).
Faire coïncider la langue d’instruction avec la langue maternelle est un processus techniquement et pédagogiquement difficile et long mais pas impossible. L’exemple de la Catalogne est édifiant. Alors qu’elle était une langue exclue de l’école et des institutions sous la dictature franquiste en Espagne, le catalan est actuellement la principale langue de scolarisation et de communication quotidienne en Catalogne.
Troisième constat : et c’est probablement le plus handicapant pour modifier les politiques linguistiques et scolaires dans le cas de l’Afrique subsaharienne ou dans tout contexte linguistique où les langues vernaculaires ne sont pas utilisées à l’école. Il n’y a pas de consensus social ou politique sur le choix de la langue d’instruction ou des langues d’instruction. Par exemple, en République Centrafricaine, une partie importante de la population parle « Sango » ; cependant cette langue n’est pas massivement utilisée à l’école.
Faire coïncider la langue d’instruction avec la langue maternelle est un processus techniquement et pédagogiquement difficile et long mais pas impossible
Curieusement, les langues africaines sont vivantes et pas menacées de disparition malgré leur absence notable des institutions modernes (école, administrations, économie formelle, mass-médias, Internet). Elles sont partout en Afrique, dans les familles, dans les cérémonies traditionnelles, sur les marchés, dans la rue, dans les productions culturelles ou musicales. Souhaiter leur entrée à l’école est plus lié à des impératifs d’enseignement – apprentissage – éducation – alphabétisation et moins à des menaces de disparition ou des enjeux identitaires. Autrement dit, les langues africaines sont culturellement et socialement majoritaires mais minoritaires et minorisés sur les plans institutionnels, politique économique et bien sûr scolaire.
Des multiples explications de la minorisation des langues maternelles dans le contexte scolaire africain
Aujourd’hui, un peu plus d’un tiers des enfants dans le monde ont une langue d’instruction différente de leur langue maternelle (UNESCO, 2015). Néanmoins, quand on regarde la carte du monde, c’est en Afrique subsaharienne où l’on observe l’exclusion la plus systématique des langues locales et maternelles de l’école.
Première explication : l’école, la forme scolaire est toujours une aventure ambiguë en Afrique subsaharienne. Ambiguïté et tensions ne veulent pas forcément dire que le maintien du français ou de l’anglais dans l’Afrique indépendante est négatif.
Deuxième explication : un important effort de standardisation des langues africaines est nécessaire.
L’utilisation scolaire d’une langue suppose plusieurs processus : la priorité de l’écrit par rapport à l’oral, l’existence d’une production écrite importante et variée, la formation de spécialistes en langues africaines, la standardisation (grammaire, orthographe, adoption de nouveaux mots etc…). L’effort de standardisation coûte cher et ne donne ses fruits que d’une manière décalée dans le temps. Il faut également se souvenir que l’effort de standardisation peut dans un premier temps se focaliser sur des langues comptant plusieurs millions de locuteurs (Haoussa, wolof, lingala, fulfulde etc…) en Afrique plutôt que sur les langues comptant quelques milliers de locuteurs. Cela peut paraître injuste mais c’est pragmatique et réaliste.
Rappelant à ce propos que l’Afrique compte après l’océan Indien Pacifique la plus forte diversité linguistique dans le monde. Elle est, en effet, caractérisée par une large diversité linguistique comptant environ 1500 langues. Selon ce que l’on considère comme frontière entre « langue » et « dialecte », ce chiffre peut varier du simple au double. On peut estimer que l’Afrique compte 2 000 à 3 000 langues. A ce titre, on peut parler d’hyper diversité linguistique.
Troisième explication : La coopération internationale a agi jusqu’à maintenant plutôt pour le maintien d’un statu quo linguistique (exclusion des langues maternelles et minorisées) même si les lignes commencent à bouger.
La coopération internationale a une présence ancienne et massive en Afrique dans le secteur de l’éducation formelle et de la coopération au développement. Traditionnellement, elle a peu contribué à la prise en compte des langues maternelles dans l’éducation.
Les thèses erronées
- amener les langues nationales à l’école provoquera des conflits ethniques.
- l’instruction en langue maternelle est actuellement un luxe et pas une priorité.
- l’instruction en français ou en anglais a bien fonctionné durant la période coloniale et durant les premières années des indépendances.
- la diversité linguistique et le nombre important de langues ne sont pas favorables à l’apprentissage.
Des défis importants : Les transitions, le temps et les acquis d’apprentissage
Prendre en compte les langues maternelles en contexte scolaire africain se traduira nécessairement par des modèles d’éducation bilingue et multilingue. Ces modèles vont affronter un autre défi de taille : le temps consacré aux apprentissages scolaires des disciplines non linguistiques.
Conclusion : Des solutions à la fois pragmatiques et ambitieuses
La mise en place d’une éducation bilingue en Afrique permettra d’articuler :
- identités apaisées : langues maternelles, premières et valeurs traditionnelles et religieuses et
- modernité : langues vernaculaires diffusées à large échelle et langues internationales héritées de la colonisation.
Il est aussi primordial de miser sur les enseignants. Par ailleurs, il est également important pour les pays africains de regarder les expériences concluantes sur le continent et ailleurs dans le monde. Par exemple, les pays d’Afrique de l’Ouest qui sont encore peu engagés dans des réformes généralisant l’instruction dans les langues maternelles des élèves, doivent regarder du côté de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Sud postapartheid qui ont une longueur d’avance. La mise en œuvre ne sera un succès que si ce projet intègre la politique éducative nationale.