Auteurs : Aicha Awa Ba, Eline Versluys
Site de publication : Girls not bride
Type de publication : Article
Date de publication : Mai 2022
Normes sociales, mariage des enfants et éducation des filles
La stigmatisation sociale associée au fait de contracter une grossesse en dehors du mariage provoque une peur chez les parents qui l’emporte sur la peur des conséquences négatives du mariage des enfants.
En Afrique de l’Ouest, la division genrée du travail et le travail domestique non rémunéré exacerbent la vulnérabilité économique des femmes et participent d’une dépendance financière aux hommes. Au Niger, à peine 25% des femmes exercent un travail rémunéré. Une forte corrélation existe entre vulnérabilité économique et mariage des enfants : au Burkina Faso, 48% des femmes vivant dans les ménages dont le revenu annuel est inférieur à 122 800 XOF ont été mariées avant l’âge de 18 ans.
Dans les pays où la prévalence du mariage des enfants est élevée, la perception par les communautés d’une telle pratique comme un régulateur social positif joue un rôle fondamental dans la préservation et la normalisation du mariage des enfants dans la société. Le mariage des enfants permet aux filles et à leurs familles d’accéder à un certain statut social et à des avantages économiques. Il représente pour les filles une opportunité de ne plus être considérées comme un fardeau économique pour leurs parents et de passer à une dépendance financière à leurs maris, ce qui est perçu comme plus valorisant.
L’éducation des filles en Afrique de l’Ouest et du Centre
Malgré les progrès récents, les inégalités de genre dans l’éducation en Afrique de l’Ouest et du Centre restent les plus élevées au monde. 28 millions de filles en âge d’aller à l’école primaire et secondaire n’ont pas accès à l’éducation. Bien que 70% des filles entrent à l’école primaire, seulement 36% terminent le premier cycle du secondaire. En moyenne, pour 100 garçons entrant dans l’enseignement secondaire dans la région, seules 76 filles sont inscrites à l’école. Dans cette région, même lorsque les filles parviennent à accéder à l’école, leur capacité d’apprentissage est souvent limitée, en raison de la mauvaise qualité de l’éducation, des discriminations sexistes et du manque de soutien à domicile.
La crise sécuritaire au Sahel a réduit encore davantage les opportunités des filles de poursuivre leurs études, notamment avec des attaques contre les écoles, des menaces contre le personnel scolaire et des déplacements de population. Dans ce contexte d’insécurité, un communiqué de presse de l’UNICEF de 2019 reportait la fermeture de 2000 écoles au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Les parents adoptent généralement une attitude de plus en plus protectrice envers leurs filles en raison des risques liés à l’insécurité et privilégient le confinement à la maison. Il est toutefois intéressant de constater qu’une étude réalisée par Plan International dans le bassin du lac Tchad a révélé que l’éducation contribue de manière significative à la résilience des filles et à leur capacité à faire face aux crises. L’enseignement secondaire et professionnel en particulier semble améliorer le bien-être et l’optimisme des filles.
Tous ces facteurs sont fortement déterminés par des normes de genre inégales. Les attentes culturellement déterminées sur le rôle des filles et des femmes dans la société mettent une grande contrainte sur les chances d’apprentissage des filles. Parce que les femmes sont traditionnellement valorisées par leur fertilité et leurs responsabilités au sein du foyer, et parce que les filles sont principalement considérées comme destinées à servir d’autres familles après le mariage, investir dans leur éducation formelle n’est pas perçu comme une valeur ajoutée.
Malgré les progrès récents, les inégalités de genre dans l’éducation en Afrique de l’Ouest et du Centre restent les plus élevées au monde. 28 millions de filles en âge d’aller à l’école primaire et secondaire n’ont pas accès à l’éducation. Bien que 70% des filles entrent à l’école primaire, seulement 36% terminent le premier cycle du secondaire. En moyenne, pour 100 garçons entrant dans l’enseignement secondaire dans la région, seules 76 filles sont inscrites à l’école. Dans cette région, même lorsque les filles parviennent à accéder à l’école, leur capacité d’apprentissage est souvent limitée, en raison de la mauvaise qualité de l’éducation, des discriminations sexistes et du manque de soutien à domicile
Une étude sur la perception qu’ont les femmes nigériennes de l’éducation des filles a montré qu’il existe une croyance selon laquelle les trois formes d’éducation que les filles reçoivent sont incompatibles (boko pour l’éducation formelle, tarbiyya pour l’éducation à la maison et mahamadiya pour l’éducation islamique). Ceci illustre le décalage entre les systèmes éducatifs post coloniaux en Afrique de l’Ouest et les attentes locales portant sur ce que l’éducation devrait apporter aux filles pour leur permettre d’évoluer dans la société dans laquelle elles vivent. Certains parents évitent même d’envoyer leurs filles à l’école parce qu’ils considèrent que c’est un obstacle à leur formation informelle en tant que futures mères et femmes au foyer, et une menace pour leurs chances de se marier.
Au Niger, l’éducation des filles est essentiellement considérée comme une éducation traditionnelle et religieuse, qui doit être dispensée d’abord par les parents des filles, puis par leur mari. La valeur élevée attribuée aux jeunes mariées au Niger fait également que les perspectives de mariage d’une fille diminuent chaque année de plus passée à l’école. Au Burkina Faso, le ministère de l’Éducation nationale a rapporté en 2020 que les parents privilégient les investissements dans les dépenses liées à l’école pour les garçons au détriment des filles.
Les infrastructures éducatives sont également moins propices à un environnement égalitaire entre les sexes, avec 47% de femmes enseignantes au niveau primaire et seulement 17% au niveau secondaire. Au Niger, seulement 22% des enseignants sont des femmes au niveau secondaire. En outre, 40% des filles nigériennes ont déclaré avoir manqué des jours d’école en raison de leurs règles.
Liens entre le mariage des enfants et l’éducation en Afrique de l’Ouest et du Centre
En Afrique subsaharienne, le mariage des enfants est un déterminant évident du faible niveau d’éducation des filles. Le taux d’alphabétisation chez les femmes qui se sont mariées pendant leur enfance est de 29%, comparativement à 54% chez les femmes qui se sont mariées après l’âge de 18 ans.
Il existe également une forte corrélation entre les grossesses précoces, les mariages précoces et le manque d’accès des filles à l’éducation. Selon le Population Council, au Burkina Faso, les grossesses non désirées sont les principaux moteurs des mariages précoces. Bien que le Burkina Faso jouisse d’un cadre politique unique dans lequel les étudiantes enceintes sont autorisées à poursuivre leurs études et où l’éducation sexuelle fait partie du programme d’études, les grossesses non désirées restent l’une des principales causes d’abandon scolaire chez les filles.
Impact de la pandémie de covid-19 sur les adolescentes en Afrique de l’ouest et du centre
Les facteurs sous-jacents du mariage des enfants – notamment la pauvreté familiale, l’accès limité aux services et à l’information en matière de santé sexuelle et reproductive (SSR), les tabous en matière de sexualité féminine et les obstacles à l’éducation des filles – sont exacerbés pendant les crises. La pandémie de Covid-19 pose un risque spécifique de mariage des enfants en raison de la fermeture des écoles, de la réduction des revenus familiaux et d’un risque accru de grossesse précoce posé par la limitation des services médicaux, y compris l’information et les services de SSR.
Au Niger, l’éducation des filles est essentiellement considérée comme une éducation traditionnelle et religieuse, qui doit être dispensée d’abord par les parents des filles, puis par leur mari. La valeur élevée attribuée aux jeunes mariées au Niger fait également que les perspectives de mariage d’une fille diminuent chaque année de plus passée à l’école. Au Burkina Faso, le ministère de l’Éducation nationale a rapporté en 2020 que les parents privilégient les investissements dans les dépenses liées à l’école pour les garçons au détriment des filles
Il existe une forte corrélation entre la prévalence du mariage des enfants, le manque d’accès des filles à l’éducation et les crises humanitaires : les 10 pays ayant les taux les plus élevés de mariage d’enfants sont également considérés comme certains des États les plus fragiles ou touchés par une crise humanitaire prolongée.
Les crises telles que les conflits, les catastrophes naturelles et les crises humanitaires prolongées exacerbent la vulnérabilité des filles au mariage des enfants, car un environnement de peur pousse beaucoup de parents à vouloir protéger leurs filles contre les violences sexuelles, les grossesses avant le mariage et la famine. Le mariage des enfants apparaît alors comme un mécanisme d’adaptation face aux crises, censé garantir la sécurité financière et la protection des filles.
Dans les pays d’Afrique de l’Ouest touchés par des crises, l’augmentation spectaculaire des dépenses militaires et de sécurité a eu un impact très négatif sur le financement des secteurs sociaux de base, notamment les secteurs de la protection de l’enfance, de l’éducation et de la santé. En l’absence d’infrastructures et de services éducatifs, la déperdition scolaire a entraîné une augmentation des taux de mariage d’enfants dans les régions touchées par les conflits armés.
Une étude de Human Rights Watch montre que les fermetures d’écoles en Afrique ont exacerbé les inégalités qui existaient auparavant et que les enfants qui étaient déjà les plus exposés au risque d’exclusion d’une éducation de qualité ont été les plus touchés.
Cadres normatifs et législatifs autour du mariage des enfants et de l’éducation des filles
Une grande partie de la littérature sur le mariage des enfants soutient l’idée qu’il existe une forte corrélation entre des lois protectrices des droits des femmes et des filles et des taux plus faibles de mariages d’enfants et de grossesses précoces.
Le manque d’accès des filles à l’information sur leurs droits contribue également à la prévalence du mariage des enfants.
Des liens entre l’éducation des filles et la protection de l’enfance dans le cadre normatif peuvent également être établis. Dans les pays connaissant à la fois des taux élevés de mariage d’enfants et des défis liés à l’éducation des filles, il a été prouvé que le plaidoyer législatif a souvent été très fructueux pour parvenir à la ratification et à la mise en œuvre de décrets en faveur de l’éducation gratuite et obligatoire pour les garçons et les filles.
Une étude de Human Rights Watch montre que les fermetures d’écoles en Afrique ont exacerbé les inégalités qui existaient auparavant et que les enfants qui étaient déjà les plus exposés au risque d’exclusion d’une éducation de qualité ont été les plus touchés
Conclusion
Le mariage des enfants est reconnu comme une problématique de droits humains multidimensionnelle, qui ne peut pas être traitée par un seul secteur ou sous-secteur. Au regard des diverses interventions mais aussi les cadres normatifs et politiques en place et visant à mettre fin au mariage des enfants en Afrique de l’Ouest, l’éducation des filles, le droit à la santé sexuelle et reproductive, le changement de normes de genre néfastes, mais aussi l’autonomisation économique demeurent des moteurs fondamentaux du changement, non seulement au niveau individuel mais aussi au niveau des communautés et de la société dans son ensemble. Les approches politiques, juridiques, sociales et économiques sont interdépendantes pour assurer une réponse holistique au mariage des enfants.
Si le mariage des enfants est considéré par les cadres juridiques et politiques internationaux comme une violation des droits humains et une forme de violence basée sur le genre, la perception du mariage des enfants comme une simple norme sociale à travers l’Afrique de l’Ouest a eu un impact négatif sur l’efficacité des politiques visant à mettre fin au mariage des enfants et abordant cela comme une priorité en termes de protection et de promotion des droits.