Auteur : Hamidou Dia
Organisations affiliées : AFD
Type de publication : Papier de recherche
Date de publication : Juin 2022
Introduction
Des progrès substantiels ont été enregistrés en matière de scolarisation en Afrique, en particulier depuis le début des années 2000. La conjonction de la mobilisation des États et de l’investissement des organisations internationales contribue à donner de l’ampleur à l’enrôlement des enfants dans les systèmes de formation.
Pour autant, d’immenses défis interpellent encore, et dont le moindre n’est pas la question des enfants, adolescents et jeunes non-scolarisés : en 2018, ils étaient 97,5 millions à ne pas fréquenter l’institution scolaire, ce qui représentait 31,2% des statistiques mondiales en la matière. Ces données, si préoccupantes soient-elles, n’en occultent pas moins d’autres dynamiques qui travaillent l’Afrique : une partie de ces enfants reçoit une éducation, mais pas dans les établissements classiques ; ils sont précisément dans les institutions d’une offre éducative omniprésente dans les sociétés, mais peu prise en compte dans les politiques publiques – en l’occurrence l’éducation arabo-islamique.
Les débats sur l’éducation arabo-islamique se sont intensifiés, et une exigence de connaissance de ses institutions s’affirme. L’un des aspects les plus méconnus de cette offre demeure son financement.
Comprendre l’offre d’éducation arabo-islamique
L’éducation arabo-islamique recouvre plusieurs réalités dans le Sahel contemporain. Cette diversité tient à la pluralité des institutions qui la portent. Deux grands modèles d’établissements permettent de visualiser l’offre : on a, d’une part, un support de formation popularisée sous l’appellation d’école ou foyer coranique – l’éducation est généralement centrée sur la mémorisation et, à un stade avancé, l’explicitation du coran ; on a, d’autre part, la médersa (qui tire son origine de l’arabe madrassa), c’est-à-dire une institution qui dispense l’enseignement islamique en utilisant généralement l’arabe comme langue d’apprentissage, et qui vise à inculquer aux apprenants des connaissances en sciences religieuses – l’histoire de l’islam, le droit musulman, l’exégèse des textes sacrés, la biographie du prophète, la doctrine de l’unicité de Dieu, etc., autant que des savoirs relevant de disciplines séculières – les mathématiques ou la géographie, par exemple.
Au Burkina Faso, certaines statistiques du Ministère de l’Éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales (MENAPLN) indiquent que, en 2019, 313 350 élèves et apprenants étaient inscrits dans les établissements privés musulmans, contre 757 811 dans l’ensemble des établissements privés du pays, soit 41,35%.
En Mauritanie, la mahadra qui est l’une des institutions d’éducation les plus anciennes du pays (lequel en compte aujourd’hui 7 618) fédère quelques 237 113 élèves.
Au Sénégal, concernant le type d’« écoles » le plus répandu et le plus ancien, la fédération nationale des associations d’écoles coraniques regroupait, en 2019, 22 000 daara qui accueilleraient près de 2 000 000 d’apprenants. Elle en comptait 16 800 en 2017.
Les débats sur l’éducation arabo-islamique se sont intensifiés, et une exigence de connaissance de ses institutions s’affirme. L’un des aspects les plus méconnus de cette offre demeure son financement
L’éducation arabo-islamique est hétérogène dans son offre, mais elle l’est aussi du point de vue de la qualité et de sa géographie sociale. De manière générale, les « écoles » qui ont engagé des transformations dans leur structuration, dans le contenu des apprentissages, dans l’exigence du point de vue de la formation, et du niveau des enseignements, ainsi que la prise en compte de l’environnement scolaire immédiat dans un objectif d’insertion professionnelle, se trouvent dans les grandes villes, et sont davantage investies par les catégories sociales les plus aisées.
Les publics de l’ÉDUAI : caractéristiques, motivations, renouvellement et devenir socio-professionnel
En matière de recrutement, les « écoles coraniques » se caractérisent par la diversité des publics accueillis. Elles sont représentatives d’une pluralité de milieux sociaux. Généralement les coûts de formation sont bas, quand ils sont exigés, et la variable la plus importante pour l’enrôlement des apprenants reste la confiance des parents.
Selon le type d’institution, les motivations qui sont mises en avant pour l’inscription des enfants ne sont pas les mêmes. Dans les « écoles coraniques » prime l’idée de la transmission de la foi, de la fabrique d’une éthique et l’inculcation d’un comportement qualifié de musulman, sans oublier aussi la nécessité de connaître les textes et les principes religieux, en particulier le coran. Dans les écoles franco-arabes, comme certaines médersas et institutions d’enseignement supérieur, est mise avant la volonté d’acquérir des connaissances des sciences religieuses, tout autant qu’est affirmé un souci de valorisation des apprentissages après la formation, en particulier sur le marché du travail.
Réformes et tensions autour de l’ÉDUAI
Un regain d’intérêt des pouvoirs publics pour l’enseignement arabo-islamique a été enregistré ces dernières années. Toutefois, ce sont les écoles coraniques qui ont été au cœur des débats, en raison de leur situation d’informalité, et de la sensibilité sociale de leur statut. Certes, ces réformes portent des considérations générales sur l’éducation religieuse, mais les discussions ont concerné principalement ces écoles coraniques. Au Sénégal, par exemple, les négociations entreprises par l’État avec les organisations représentatives de ce type d’institutions appelées daaras en wolof – principale langue de communication – ont débouché sur la rédaction d’un projet de loi censé réglementer et moderniser ces écoles coraniques.
Les sources de financement de l’ÉDUAI
L’enseignement arabo-islamique est d’abord supporté par les familles et les communautés à travers le paiement de frais d’inscription pratiqués par les écoles, instituts et universités. Une spécificité peut ici être mentionnée dans le cas des écoles coraniques : souvent l’éducation est gratuite ; mais elles sont financées soit par des donateurs privés qui peuvent être d’anciens apprenants réunis dans des associations, soit par des membres des élites des confréries religieuses qui veulent soutenir l’enseignement du coran.
Des ONG financent aussi les structures d’éducation islamique, en les équipant en matériel didactique, en aidant à la construction ou à la rénovation de salles, ou encore en finançant des programmes particuliers comme l’initiation à d’autres langues étrangères, la pratique du calcul et des mathématiques en général, ou encore des rudiments d’apprentissage professionnel, comme c’est le cas de l’UNICEF ou encore de l’USAID.
Les États sahéliens financent à travers des subventions via des programmes eux-mêmes soutenus par des bailleurs internationaux : des critères sont ainsi dégagés, et les pouvoirs publics déterminent les montants, leur régularité, ainsi que les destinataires. La Banque mondiale, la Banque islamique de développement et des pays arabes soutiennent différents projets de construction d’établissements, de formation d’enseignants, de fournitures de manuels ou de produits alimentaires aux établissements.
Dynamiques sous-régionales et ÉDUAI
Le contexte sahélien est aussi marqué par une conflictualité dont une des modalités de légitimation par certains groupes armés est la défense de la religion, en particulier l’islam. L’une des questions que se posent plusieurs acteurs et observateurs internes et externes est de savoir si la situation sécuritaire violente qui prévaut dans certaines parties de l’espace sahélien n’est pas liée aux enseignements que reçoivent les enfants et les jeunes dans les institutions d’éducation islamique. Les résultats de cette recherche montrent globalement qu’aucune causalité directe n’est établie entre le radicalisme et les enseignements dispensés dans ces institutions.
Conclusion
L’éducation arabo-islamique est une donnée importante à prendre en considération pour qui veut comprendre et essayer d’avoir prise sur le quotidien des populations du Sahel. Les difficultés à documenter au plan statistique cette offre que l’on sait maintenant plurielle, hétérogène, évolutive, ne doivent pas empêcher les acteurs qui s’intéressent de très près à la situation des pays compris dans cet espace d’en comprendre l’ampleur.
L’éducation reste une des clés pour répondre aux crises multiformes qui secouent les sociétés. Plus que jamais, l’imagination de ses acteurs est sollicitée pour construire des systèmes de formation rénovés.