Auteur : Audrey Kettaneh
Auteur : Lauren Seibert
Site de publication : HRW
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2020
Conflit et éducation au Burkina Faso
Propagation de l’activité des islamistes armés
À travers la zone sahélienne de l’Afrique de l’Ouest—le Sahel étant une vaste région semi-aride au sud du Sahara—le conflit armé et la violence entre groupes armés non étatiques et forces armées nationales, mis en évidence par la présence croissante de groupes armés islamistes, ont provoqué une crise humanitaire et sécuritaire.
L’éducation au Burkina Faso
Même avant que n’éclate la crise sécuritaire, le système éducatif du Burkina Faso était confronté à de sérieux défis, notamment le manque d’enseignants qualifiés, des classes surpeuplées, l’insuffisance des infrastructures et des matériels pédagogiques, des taux d’achèvement faibles et une inégalité de genre.
Conséquences néfastes du conflit sur le système éducatif
Le conflit et les attaques visant l’éducation ont grandement aggravé les défis qui existaient déjà et accentué la dégradation des infrastructures éducatives. Souvent, les attaques d’enseignants ou d’écoles ont non seulement entraîné la fermeture de l’établissement en question, mais aussi provoqué toute une série de fermetures d’écoles et la fuite paniquée d’enseignants des communautés voisines. En outre, au moins 62 écoles servaient de refuge à des personnes déplacées en 2019.
Le 10 mars 2020, le ministère de l’Éducation a signalé que 2 512 écoles étaient fermées du fait de l’insécurité—soit une hausse de plus de 1 000 écoles depuis la fin de la précédente année scolaire—affectant 349 909 élèves et 11 219 enseignants. Cela signifie qu’environ 13 % des écoles (préscolaire au secondaire) du Burkina Faso étaient déjà fermées à cause des attaques ou de l’insécurité avant même l’arrivée de l’épidémie de Covid-19, laquelle a entraîné la fermeture de toutes les écoles dès la mi-mars 2020.
Auteurs d’attaques visant des enseignants, des élèves et des écoles
La plupart des attaques visant des élèves, des enseignants et des écoles documentées par Human Rights Watch n’ont pas été revendiquées. Cependant, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et Ansaroul Islam se sont identifiés ou ont revendiqué leur responsabilité dans un petit nombre de cas.
Dans des dizaines de cas documentés par Human Rights Watch, des survivants ont raconté que les auteurs—généralement munis d’armes d’assaut militaire de type Kalachnikov, portant soit un uniforme militaire soit un long habit traditionnel (boubou) et souvent un turban leur couvrant le visage—ont fait de grandes déclarations avant, pendant ou après leurs attaques, affirmant leur position à l’encontre de l’éducation et les menaces qui s’en suivraient. Dans la quasi-totalité des cas, les assaillants ont affirmé être contre « l’enseignement français », « l’éducation classique » ou l’éducation des « Blancs » ; ils ont aussi déclaré que les enseignants « ne devraient enseigner que l’arabe » ou le Coran.
Le conflit et les attaques visant l’éducation ont grandement aggravé les défis qui existaient déjà et accentué la dégradation des infrastructures éducatives. Souvent, les attaques d’enseignants ou d’écoles ont non seulement entraîné la fermeture de l’établissement en question, mais aussi provoqué toute une série de fermetures d’écoles et la fuite paniquée d’enseignants des communautés voisines. En outre, au moins 62 écoles servaient de refuge à des personnes déplacées en 2019
Attaques visant des enseignants et des professionnels de l’éducation
Les attaques et les exactions perpétrées à l’encontre d’enseignants, de directeurs d’écoles et de proviseurs, de personnels d’écoles et d’autres professionnels de l’éducation—quiconque est perçu comme promouvant au Burkina Faso un enseignement français, dirigé par l’État—ont régulièrement augmenté depuis 2017, lorsque le premier directeur d’école, Salifou Badini, a été tué dans la région du Sahel. Ces attaques qui, pour la plupart, ciblaient des enseignants, ont inclus des meurtres ; des agressions violentes ; des contraintes physiques, par exemple les victimes étant attachées, enchaînées ou ayant les yeux bandés ; des vols et la destruction de biens personnels ; et des menaces et des mesures d’intimidation. Les directeurs d’écoles et les proviseurs, dont beaucoup enseignent également, étaient souvent la cible de traitements particulièrement durs.
Parmi les cas documentés, tous les professionnels de l’éducation ciblés par les attaques les plus graves—meurtres, violences, enlèvements—étaient des hommes. Les enseignants victimes de menaces, d’intimidations, de vols et de destruction de biens étaient aussi bien des hommes que des femmes. D’après des survivants et des témoins, les victimes étaient de diverses origines ethniques, notamment Mossi, Peuls, Gourmantché, Bobo et Foulsé, tandis que les assaillants parlaient dans la plupart des cas le fulfuldé (langue parlée par les Peuls), puis le mooré (parlé par les Mossi), le gourmantché, le dioula, le français et, dans au moins un cas, le tamasheq (la langue des Touaregs ou des Bella).
Meurtres ciblés
Plusieurs enseignants et chefs communautaires ont suggéré à Human Rights Watch que deux meurtres d’enseignants qui s’étaient produits plus tôt, en 2017, auraient pu être des actes de représailles d’Ansaroul Islam à l’encontre d’enseignants qui avaient rejoint Al-Irchad, l’une des premières associations religieuses établies par le Malam Dicko, fondateur d’Ansaroul. Ils ont suggéré que certains enseignants auraient pu recevoir d’Al-Irchad des avantages en nature—tels que des terres, des maisons et un remboursement de leurs dettes—mais qu’ils avaient peut-être refusé de soutenir le groupe lorsque celui-ci s’était transformé en insurrection armée.
Cependant, des membres des familles, des témoins, des analystes et des professionnels de l’éducation ont attribué un grand nombre des meurtres d’enseignants commis par la suite au programme général des islamistes armés consistant à arrêter l’enseignement « français » et à débarrasser le territoire de ses fonctionnaires, bien que les attaques aient aussi pu s’appuyer sur d’autres motifs.
Attaques et exactions visant des élèves
Des dizaines de cas documentés par Human Rights Watch montrent que des groupes armés islamistes ont menacé, intimidé et harcelé des élèves, afin de les forcer à abandonner leur scolarité. Dans plusieurs cas, aussi bien dans l’enceinte de l’établissement scolaire qu’en dehors, des agresseurs ont brûlé les livres, les documents, ou les cahiers des élèves devant eux. Human Rights Watch n’a pas relevé de cas d’enfants délibérément ciblés par la violence lors des attaques d’écoles.
En effet, de nombreux professionnels de l’éducation, parents d’élèves et experts de la sécurité ont déclaré à Human Rights Watch que les élèves n’étaient « pas la cible » des groupes armés islamistes. Néanmoins, en 2019, au moins deux élèves ont été blessés ou tués par des balles perdues lors d’attaques perpétrées contre des écoles ou à proximité. Des élèves ont aussi été tués lors de plusieurs attaques en dehors de l’école, même si les motifs de ces meurtres sont inconnus.
Attaques visant des écoles
Les attaques d’écoles au Burkina Faso sont allées de visites ou « descentes » menaçantes—lors desquelles des groupes armés islamistes ont ordonné la fermeture de l’école, et dans bien des cas ont tiré des coups de feu en l’air pour intimider les enseignants et les élèves—à un déchaînement de violence, de pillages et de destruction. Des assaillants ont incendié des salles de classe, des bureaux et des logements d’enseignants ; tiré des coups en direction des fenêtres, des portes, des murs et des toits d’écoles ; utilisé des explosifs pour détruire des bâtiments scolaires ; brûlé des archives scolaires, des matériels pédagogiques et des cahiers d’élèves ; volé, endommagé ou détruit des biens appartenant à des enseignants ; et pillé les magasins de vivres.
Cependant, des membres des familles, des témoins, des analystes et des professionnels de l’éducation ont attribué un grand nombre des meurtres d’enseignants commis par la suite au programme général des islamistes armés consistant à arrêter l’enseignement « français » et à débarrasser le territoire de ses fonctionnaires, bien que les attaques aient aussi pu s’appuyer sur d’autres motifs
De nombreuses attaques d’écoles se sont produites dans des écoles qui continuaient de fonctionner, tant pendant les heures de cours en présence d’élèves et d’enseignants qu’en dehors de ces horaires. Cependant, les assaillants ont également endommagé et pillé des écoles qui étaient fermées, soit pour les vacances, soit à cause de l’insécurité.
Utilisation d’écoles à des fins militaires
Human Rights Watch a documenté l’utilisation d’au moins 10 écoles par les Forces de défense et de sécurité (FDS) burkinabè en tant que bases militaires temporaires en 2019. Il s’agissait de neuf écoles dans la région du Centre-Nord et d’une dans la région du Sahel. Les FDS ont occupé sept écoles pour des durées allant d’un jour à plusieurs mois, tandis que trois ont été occupées pendant six mois à un an, d’après des résidents, des professionnels de l’éducation, et des fonctionnaires locaux.
L’utilisation d’une école à des fins militaires peut empêcher les enfants de reprendre leur scolarité, et peut entraîner des dommages des infrastructures éducatives, soit à cause du comportement des soldats à l’intérieur de l’école, soit parce que l’école devient ainsi une cible pour les attaques ennemies. Et même une fois que l’occupation cesse, l’école peut rester dangereuse pour les enfants si les troupes y ont laissé des munitions inutilisées.
Conséquences néfastes pour des élèves et des enseignants
Les conséquences néfastes des attaques sur des élèves, des enseignants et des écoles vont au-delà des fermetures d’écoles, affectant de nombreux aspects du quotidien des élèves et des enseignants, d’après des professionnels de l’éducation, des parents d’élèves, des travailleurs humanitaires et des chefs communautaires interrogés par Human Rights Watch.
De nombreux élèves qui ont subi des attaques ont connu des traumatismes, ce qui a affecté leurs études et leur qualité de vie, ont indiqué les personnes interrogées. Celles-ci ont constaté que les attaques d’écoles, la peur de nouvelles attaques et la scolarité perturbée avaient eu des répercussions néfastes sur la qualité de l’éducation d’un grand nombre d’élèves, ainsi que sur leurs résultats scolaires. Des professionnels de l’éducation qui ont survécu aux attaques ont fait part de pertes matérielles, de difficultés financières, et de troubles psychosociaux et physiques.
Conséquences psychosociales, physiques et financières pour des enseignants
De nombreux professionnels de l’éducation ont déclaré à Human Rights Watch avoir subi d’importantes pertes financières ou de biens lors d’attaques, telles que des logements incendiés ou des possessions détruites ou volées. D’autres ont fait part de douleurs physiques ou de troubles médicaux continus. « [L’attaque] m’a causé des douleurs et des problèmes physiques jusqu’à présent », a commenté un enseignant.
En effet, de nombreux professionnels de l’éducation, parents d’élèves et experts de la sécurité ont déclaré à Human Rights Watch que les élèves n’étaient « pas la cible » des groupes armés islamistes. Néanmoins, en 2019, au moins deux élèves ont été blessés ou tués par des balles perdues lors d’attaques perpétrées contre des écoles ou à proximité. Des élèves ont aussi été tués lors de plusieurs attaques en dehors de l’école, même si les motifs de ces meurtres sont inconnus
Des dizaines d’entre eux éprouvaient de l’anxiété, une peur et une panique persistantes, une dépression ou d’autres troubles psychologiques et émotionnels associés à un traumatisme du fait d’attaques.
Conséquences psychosociales pour des élèves
Entre 2017 et 2020, des centaines de milliers d’élèves au Burkina Faso ont subi une attaque liée au secteur de l’éducation. Un grand nombre d’entre eux ont été menacés et contraints de regarder leur école ou leurs cahiers mis à feu, et leurs accomplissements partir en fumée. D’autres ont assisté au passage à tabac ou au meurtre de leurs enseignants. Des parents d’élèves, des enseignants et des experts ont indiqué que ces expériences avaient eu des répercussions psychosociales graves et durables sur les élèves, et en particulier sur les enfants en bas âge.
Réponses, lacunes et besoins
Le gouvernement burkinabè a pris des mesures importantes pour répondre aux attaques visant des élèves, des enseignants et des écoles, notamment en avalisant la Déclaration sur la sécurité dans les écoles en 2017. Les pays qui avalisent cette déclaration s’engagent à prendre toute une série de mesures pour renforcer la prévention et la réponse apportée à ces attaques. Il s’agit notamment de collecter des données fiables sur les attaques d’écoles et l’utilisation des écoles à des fins militaires ; d’aider les victimes d’attaques ; d’enquêter sur les allégations d’atteintes au droit national et international et de poursuivre en justice les auteurs de ces atteintes de manière appropriée ; et d’élaborer des programmes éducatifs « qui tiennent compte des conflits ».
Malgré ces mesures positives, Human Rights Watch a identifié plusieurs besoins urgents qui n’ont pas encore été traités de manière adéquate. Ces problèmes ont par ailleurs été exacerbés par le sous-financement du Plan de réponse humanitaire de l’ONU au Burkina Faso : en décembre 2019, seule la moitié environ des besoins estimés (187 millions de dollars US) avait été financée, un faible pourcentage d’aide ayant été attribué à l’éducation en situation d’urgence. Pour 2020, les besoins ont connu une hausse, atteignant désormais, d’après les estimations, 312 millions de dollars.