Auteurs : Julie Mwabe, Hiba Elamin Omer
Organisation affiliée : Coalition éducation
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2019
Les pays du Sahel connaissent des situations de crises chroniques et multidimensionnelles. Qu’elles soient institutionnelles, climatiques, sanitaires ou relatives à un conflit, ces crises affectent profondément les populations, qui se voient souvent contraintes de se déplacer ou de s’organiser afin de minimiser les conséquences sur leur quotidien d’une situation tendant à s’inscrire dans la durée. Dans un tel contexte, les actions menées par les organisations de la société civile (OSC), les organisations à base communautaire (OBS – telles que les associations de parents d’élèves, de jeunes, etc.), et les organisations non gouvernementales (ONG), internationales ou locales, sont fondamentales.
L’éducation est en effet un facteur essentiel de prévention des crises, de reconstruction à la suite d’une crise, ainsi que de stabilité sociale, économique et politique. Les OSC œuvrent ainsi pour le maintien et le renforcement de l’accès à une éducation de qualité pour tous les enfants, jeunes et adultes, tout en prenant en compte et en s’appuyant sur d’autres secteurs sociaux de base.
L’étude a pour objectif d’analyser les enjeux de l’éducation de qualité en contextes de crise, dans les pays du Sahel principalement, et de diffuser les « bonnes pratiques » menées par des acteurs de terrain dans la région, afin de permettre de renforcer la politique extérieure de la France sur le continuum urgence/développement en matière d’éducation. L’étude vise à identifier les pratiques considérées pertinentes et efficaces pour l’éducation en situations de crise et pouvant être appropriées et transférées par les OSC.
État des lieux de l’éducation en situations de crise au Sahel
Le concept d’éducation en situations de crise et d’urgence a fortement évolué depuis les années 1990, lorsque l’éducation est devenue partie intégrante de l’action humanitaire en situations d’urgence. La mise en place de l’International Network for Education in Emergencies (INEE) en 2000 a aussi favorisé une meilleure compréhension de cette nouvelle tendance.
Après avoir analysé l’évolution du secteur de l’éducation en situations de crise, il est également important de considérer la notion de résilience. Celle-ci ne peut se comprendre qu’en analysant les vulnérabilités des systèmes, des communautés et des individus en situations de crise. La prise en compte opérationnelle de la notion de résilience devient de plus en plus courante et est un facteur important de réussite des projets.
La conséquence du manque d’accès à l’éducation est particulièrement pervers. En effet, l’éducation est un levier puissant de lutte contre la pauvreté et les inégalités en général. Elle est considérée comme un élément essentiel pour la réalisation des Objectifs du Développement Durable, au regard des multiples opportunités qu’elle offre aux populations. Les conflits et catastrophes renforcent les inégalités entre individus, communautés et régions, et aggravent les vulnérabilités.
Si ces effets atteignent tous les apprenant·e·s, l’éducation des filles est la plus affectée par la crise, un fait souligné par un écart marqué des taux de scolarisation et d’accès à la dernière année du primaire en fonction du genre.
Analyse transversale
Pour compléter et développer les informations récoltées lors de l’analyse documentaire, des entretiens ont été menés avec les acteurs de l’éducation en situations de crise de différents niveaux des systèmes éducatifs. L’analyse transversale de ces données expose les profils des OSC interrogées, reflète la situation réelle du travail dans le domaine de l’éducation en situations de crise, souligne les bonnes pratiques des OSC/ONG, mais aussi des erreurs dans le fonctionnement de ces organisations, et met en avant les écueils à éviter lorsqu’il s’agit de soutenir l’éducation en situations de crise.
L’étude révèle l’existence d’une concentration des activités de soutien à l’éducation en situations de crise sur les niveaux du primaire et du secondaire. La recherche d’une efficacité de l’action, susceptible de produire des résultats plus rapides et importants au niveau primaire, est un élément d’explication de cette priorisation. Néanmoins, le manque d’action aux niveaux de la Petite Enfance et du supérieur est questionnant, et doit faire l’objet d’une attention particulière.
Bien que l’appui au secteur éducatif formel soit la priorité des ONG et OSC, une tendance à la prise en compte progressive de l’éducation non-formelle dans les situations de crise peut être pointée – en attestent les différents programmes « passerelles » existants (l’organisation ONEN met en œuvre des programmes accélérés pour réintégrer les jeunes dans le système formel, l’UNICEF porte également un projet de classes passerelles au Sénégal qui offrent des solutions alternatives de scolarisation et a pour objectif la réinsertion dans le système formel d’éducation). Le secteur non-formel présente l’avantage de pouvoir atteindre des populations qui se trouvent hors du système officiel, tels que des adolescent·e·s (12-18 ans) sorti·e·s du système scolaire. Les programmes non-formels peuvent alors renforcer les « capacités de vie » (soft skills) de ces enfants et jeunes, les aidant à réintégrer la société notamment par l’insertion professionnelle.
Afin de mieux préparer et opérationnaliser leurs interventions en situations de crise, les OSC travaillent à améliorer la qualité du diagnostic de la situation éducative locale. Une telle action permet également de répondre aux attentes des populations affectées. Elle requiert un travail conjoint avec la communauté ciblée dès la phase de collecte des informations. La plupart des OSC interrogées ont souligné leur choix de conduire leurs propres études au niveau local pour chaque projet plutôt que de se fonder sur les études et les données nationales ou régionales afin de comprendre la situation sur le terrain. La collecte de données fiables est un défi pour toutes les OSC rencontrées.
L’adaptation à de nouveaux contextes passe par la prise en compte progressive de la diversité des formes et des lieux d’apprentissage. Bien qu’un versant de l’action des OSC consiste à apporter des changements au système éducatif public local, il est fréquent que les familles choisissent d’envoyer leurs enfants dans les systèmes parallèles – religieux ou privés, par exemple – et ne veulent pas intégrer le système public.
Recommandations
- Mener une étude de cartographie des OSC intervenant dans l’éducation-formation au Sahel. Cette cartographie n’existe pas de manière exhaustive ni actualisée. Elle ne permet pas aux bailleurs ni aux ONG d’identifier des actions avec les interlocuteurs idoines.
- Adapter une théorie du changement propre aux évolutions attendues en éducation dans le renforcement de capacités en situations de crise.
- Approfondir les diagnostics préalables aux interventions, en faisant intervenir les populations et des champs d’experts diversifiés (économie, sociologie, anthropologie). Ceci prend du temps et a un certain coût.
- Poursuivre l’articulation des interventions des OSC entre éducation-formation, pour penser la formation aux compétences professionnelles (ex. dès le début du niveau secondaire).
- Inclure les autorités locales à tous les niveaux des programmes, notamment sur les questions de planification et de formulation de stratégie.