Auteur : Benjamen Augé
Organisation affiliée : Revue de géographie et de géopolitique, Hérodote
Type de publication : Article
Date de publication : 2014
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Avant d’être un objet géopolitique, la découverte de nouvelles ressources en hydrocarbures est le fruit d’une meilleure connaissance de la géologie. Grâce à l’amélioration des techniques d’exploration, les découvertes de pétrole et de gaz restent toujours très nombreuses, et ce même si les gisements sont depuis déjà plusieurs décennies, et à quelques rares exceptions près, de volume de plus en plus réduit. À partir du début des années 2000, et du fait de la raréfaction des découvertes dans les zones faciles d’extraction (à terre et en eau peu profonde), les acteurs de l’exploration les compagnies pétrolières n’hésitent plus à investir de très importants moyens dans des zones méconnues pour mettre au jour de nouvelles réserves : offshore profond voire très profond (plus de 1500 mètres d’eau), lacs, bassins enclavés, piégées à l’intérieur des roches (gaz et pétrole de schiste).
Ce phénomène qui a eu des impacts sur tous les acteurs du secteur n’a été possible que grâce à l’augmentation des revenus des sociétés, liée non pas à l’accroissement de leur production mais bien davantage à la hausse des cours du brut depuis 2003, passés de 20 dollars à 147 dollars en août 2008. Les cours se sont depuis lors stabilisés autour de 100-110 dollars. Cette augmentation violente des prix a été d’abord la conséquence directe de l’accroissement de la demande mondiale de 80 millions de barils par jour en 2003 à 91 millions en 2013.
C’est ce contexte de prix élevé de l’énergie et d’appétit de la part d’acteurs pétroliers « historiques » (majors et intermédiaires occidentaux) et plus récents (juniors dirigés par d’anciens géologues de majors et sociétés nationales asiatiques et sud-américaines) qui nous amène à développer de ce que l’on appellera, durant cet article, le bassin atlantique. Ce dernier est d’abord une initiative politique américaine visant à rapprocher les deux rives de l’Atlantique (Amérique du Nord et latine d’une part, Afrique et Europe d’autre part). D’anciens très hauts décideurs politiques venant de tous ces continents, sous la houlette de l’ancien Premier ministre espagnol José Maria Aznar, réfléchissent depuis 2012 avec les professeurs et chercheurs du Center for Transatlantic Relations de l’université Johns Hopkins sur plusieurs thèmes qui permettront ce rapprochement, notamment l’énergie, les moyens de favoriser la croissance économique, les problématiques liées particulièrement à l’océan Atlantique (pêche, pollution, niveau des eaux), la sécurité, la culture et la gouvernance démocratique.
L’exploitation des gaz et pétrole de schiste américains, quelles conséquences géopolitiques pour le golfe de Guinée en Afrique?
Les États-Unis ont connu une baisse constante de la consommation nationale de pétrole de 2005 à 2012, passant de 20,8 à 18,5 millions de barils par jour, mais celle de gaz a constamment augmenté (de 623 milliards de mètres cubes en 2005 à 723 milliards en 2012). Alors que le golfe de Guinée africain comprenant les pays producteurs de la façade atlantique, principalement Nigeria, Angola, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Cameroun, était devenu une zone stratégique après le 11 Septembre, cette zone d’Afrique est désormais la première à être touchée par l’accroissement national de production aux États-Unis.
Le président tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990, est considéré par les États-Unis comme un allié contre le terrorisme islamique sahélien et il y a fort à parier que même si le marché tchadien n’a pas beaucoup d’intérêt pour les sociétés américaines – de 2004 à 2013, il est resté stable à 41 millions de dollars
Les autres zones traditionnelles d’importations américaines, géographiquement proches (Canada, Mexique, Venezuela, Trinidad et Tobago), n’ont quant à elles pas vu leurs exportations en direction des États-Unis aussi massivement baisser. Fort logiquement, le gouvernement de Washington préfère continuer à consolider ses importations par oléoducs et gazoducs (Canada, Mexique); ainsi qu’avec des États avec lesquels la relation énergétique est très forte depuis de nombreuses décennies comme le Venezuela, même si les déclarations médiatiques comme celles des présidents vénézuéliens Hugo Chavez puis Nicolas Maduro ont pu laisser entendre le contraire. Du point de vue du coût, importer la quasi-totalité de son approvisionnement du même continent nord-américain ou des Caraïbes comme Trinidad et Tobago est beaucoup moins dispendieux que l’importation venant du golfe de Guinée, celle-ci occasionnant de nombreux jours supplémentaires de navigation de tankers et méthaniers.
Le Nigeria craint de perdre sa relation spéciale avec les États-Unis
Après avoir expliqué la logique de l’écroulement des importations pétrolières américaines venant d’Afrique d’un point de vue comptable, il convient d’en analyser les conséquences géopolitiques. Il est vrai que l’Algérie ou l’Angola subissent des baisses d’exportations similaires entre 2010 et 2014 (aux alentours de – 90 %), mais les volumes n’ont rien de commun. Premier producteur de brut africain depuis 1979 (supplantant la Libye), le Nigeria a, depuis près de dix ans, exporté quasiment 1 million de barils par jour vers les États-Unis alors même que l’Algérie et l’Angola envoyaient dans le même temps à peine plus de 300000 b/j.
Cette stratégie était évidemment liée depuis 2001 au souhait de tisser des liens économiques et politiques forts avec le pays le plus peuplé d’Afrique au rôle régional (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, CEDEAO) et continental (Union africaine) important, mais également de profiter de ses réserves pétrolières (37 milliards de barils, les deuxièmes d’Afrique derrière la Libye) et gazières (183 trillions de pieds cubes, les premiers en Afrique). Bien avant d’en faire un partenaire énergétique de premier plan, les États-Unis se sont rapprochés de ce pays sous la présidence de Jimmy Carter (1977-1980) par l’intermédiaire de l’ambassadeur américain auprès de l’ONU, Andrew Young, qui a également été maire d’Atlanta.
Les États-Unis sont l’un des principaux fournisseurs d’équipement militaire et renseignement au Nigeria, beaucoup de dons de radars et navires ont été effectués, tout comme des actions de formation localement et dans les écoles de formation militaire américaines. Or, le Nigeria a multiplié par dix son budget défense entre 2012 et 2014.
La raison de cet accroissement est que le Nigeria subit, depuis la fin des années 2000, deux menaces géopolitiques défiant le gouvernement central à Abuja, l’une dans le delta du Niger où la totalité de la production d’hydrocarbures est localisée et l’autre au nord-est du pays avec le groupe islamiste politico-mafieux Boko Haram. Or, le régime nigérian compte beaucoup sur l’aide américaine (conseiller militaire, renseignement, ventes d’équipements sophistiqués) pour lutter contre ces deux menaces.
Cette crainte des milieux sécuritaires nigérians, en particulier à la présidence (au sein de l’administration du National Security Advisor), peut expliquer en partie l’appel à l’aide du président Goodluck Jonathan à son homologue français François Hollande en mai 2014. Afin de ne pas s’enfermer dans la relation avec les Américains, le chef de l’État nigérian a en effet demandé que la France s’implique davantage dans la lutte contre Boko Haram. Cela a engendré l’organisation en mai 2014 d’une grande conférence à Paris avec les présidents nigérian, camerounais, béninois et nigérien, où participaient également l’ONU, les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Les firmes américaines ne sont pas les seules à s’inquiéter des conditions d’exploitation au Nigeria, toutes les majors sont dans le même cas, seulement le désinvestissement est peut-être plus important pour Exxon et Chevron qui ont dépensé des sommes colossales pour développer les réserves d’hydrocarbures non conventionnels sur le sol américain. Cependant, si l’on va au-delà du seul secteur pétrolier, les chiffres de vente des produits et services de compagnies américaines au Nigeria montrent que celles-ci sont loin de se désintéresser du pays, le montant des exportations américaines atteignant 6,4 milliards de dollars en 2013 alors qu’elles n’étaient que de 1,5 milliard en 2004.
Il est probable que les critiques américaines contre le gouvernement nigérian sont davantage liées au fait que les investissements de ses entreprises et la sécurité de ses ressortissants ne sont pas garantis. À partir du moment où la sécurité est préservée et où le marché peut être porteur, peu importe le régime politique pour Washington comme nous allons le voir pour les autres pays africains producteurs de pétrole.
Business as usual, la diplomatie américaine s’adapte aux régimes en place en Afrique
En termes de régime politique, le Nigeria est un cas à part au sein du groupe des États pétroliers africains de premier plan. La tenue d’élections présidentielles tous les quatre ans depuis le retour à un processus démocratique en 1999 à la suite de la mort de Sani Abacha (1998) a considérablement ouvert le Nigeria sur les plans économique et politique. Le problème de Boko Haram suscite l’intérêt de la communauté internationale inquiète de la violence de ce mouvement et les médias questionnent fréquemment à ce sujet les responsables américains. Le secrétaire d’État John Kerry critique d’ailleurs le régime, par exemple, sur son incapacité à garantir la liberté de culte.
Quant au cas de la Guinée équatoriale, les États-Unis ont opéré une volte-face politique dès les premières découvertes de pétrole au début des années 1990. Après que l’ambassadeur américain John F. Bennett a été accusé de « sorcellerie » par le président Nguema, Bill Clinton décide en 1995 de fermer l’ambassade à Malabo. Cependant, la découverte d’importants gisements pétroliers, notamment par des compagnies américaines comme Marathon, Hess, Exxon et Chevron, pousse l’administration de George Bush à rouvrir l’ambassade en 2006. Le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema est même qualifié de « good friend » par la secrétaire d’État Condoleezza Rice lors d’un de ses séjours à Washington en avril 2006. Barack Obama n’a pas fondamentalement changé la relation avec la Guinée équatoriale, son président ayant été notamment invité en 2009 avec son épouse, tout comme en août 2014 lors du sommet USA-Africa Leaders. Il est hautement improbable que la baisse des importations en brut depuis ce pays en direction des États-Unis change la donne, surtout que les exportations ont été multipliées par trois entre 2004 et 2013, passant de 215 à 755 millions de dollars.
Pour ce qui est du Gabon et de la République du Congo, deux pays dans lesquels les États-Unis ont encore des intérêts économiques très faibles, une stratégie d’implantation est en cours. Le président gabonais Ali Bongo (fils d’Omar Bongo, chef de l’État gabonais entre 1967-2008) est américanophile, tout comme son directeur de cabinet Maixent Accombressi. Ils tentent d’attirer les compagnies américaines pour explorer leur zone maritime en ultra deep offshore et, ainsi, moins dépendre des firmes française (Total, Perenco et Maurel & Prom) et européenne (Shell, ENI). Noble et Marathon, toutes deux américaines, ont notamment remporté des permis dans cette zone en août 2014. Actuellement, les compagnies américaines, tous secteurs confondus, exportent au Gabon pour 307 millions de dollars en 2013 – à comparer avec 93 millions de dollars dix ans plus tôt. Quant au Congo, ils représentaient seulement 222 millions de dollars en 2013, ce qui reste modeste mais en augmentation depuis 2003 (65 millions de dollars).
La nouvelle stratégie de ces acteurs consiste à s’emparer des permis de l’autre côté de l’Atlantique après que des découvertes ont été faites d’un côté. C’est la théorie du miroir qui relance ou lance la recherche dans des zones encore largement sous-explorées
Enfin, le Tchad est le seul pays africain à partir duquel les États-Unis ont importé davantage de pétrole brut: l’augmentation est, selon notre tableau, de 30 % entre 2010 et 2014 (30000 à 38000 b/j, soit près de 40 % de la production totale du pays). Le Tchad a une histoire pétrolière singulière. C’est grâce à deux majors américaines, Exxon et Chevron, aidées de la Banque mondiale [Augé, 2009], que cet État sahélien enclavé a pu produire en 2003 et exporter son brut par l’intermédiaire d’un oléoduc débouchant sur le port camerounais de Kribi. Le président tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990, est considéré par les États-Unis comme un allié contre le terrorisme islamique sahélien et il y a fort à parier que même si le marché tchadien n’a pas beaucoup d’intérêt pour les sociétés américaines – de 2004 à 2013, il est resté stable à 41 millions de dollars; la relation bilatérale ne devrait pas beaucoup changer. Le président Idriss Déby est un militaire à la tête d’une des plus efficaces armées d’Afrique, ayant notamment repoussé des rébellions venant du Soudan, ainsi que le principal allié de la France lors de l’opération Serval au Mali en 2013. De plus, on ne compte plus le nombre de hauts gradés ou sénateurs américains qui rencontrent le président Idriss Déby à N’Djamena.
Ainsi, la nécessité de vendre des produits américains et déjouer les velléités des Européens, des Chinois et des autres puissances émergentes va certainement conduire les États-Unis à poursuivre sur une voie plutôt pragmatique dans leurs relations avec l’Afrique. Le Nigeria est encore une fois particulier car il ne parvient pas à sécuriser les investissements américains.
Les conséquences de l’indépendance gazière américaine en Afrique
Les États-Unis n’ont jamais importé de grandes quantités de gaz depuis le continent africain, privilégiant les zones plus proches comme le Canada, le Mexique, ou plus récemment Trinidad et Tobago. Seuls le Nigeria et l’Égypte ont jusqu’à récemment exporté du gaz en direction de Washington, mais dans des quantités modestes. Plus aucune cargaison ne vient d’Algérie depuis 2007. Cependant, un pays africain a parié sur l’accroissement de la consommation gazière américaine, sans prévoir les conséquences de l’exploitation du gaz de schiste: l’Angola.
Le gaz de schiste américain a également un impact sur le report des grands projets de liquéfaction au Nigeria comme Brass LNG ou OK LNG dans la région du delta du Niger. Chevron s’est désengagée de Brass LNG en 2006 et ConocoPhillips a fait de même en 2014 en cédant ses participations. Les compagnies américaines devraient se concentrer davantage sur le pétrole au Nigeria et laisser les compagnies européennes et nigérianes développer des projets complexes de LNG dans la région instable du delta du Niger. L’insécurité physique du fait des violences (MEND, etc.) et l’instabilité juridique poussent les compagnies à diminuer leur investissement pétrolier mais également dans le gaz alors même que ce pays possède les premières réserves gazières du continent africain (183 trillions de pieds cubes).
Le miroir géologique ou le destin pétrolier commun de l’Amérique latine et l’Afrique
Le bassin atlantique est un terrain relativement vierge pour les géologues des sociétés pétrolières. Les deux rives de l’offshore, côté Amérique latine comme côté Afrique, produisent du pétrole depuis plusieurs décennies mais le fait que les deux blocs ne formaient il y a plusieurs millions d’années qu’un seul ensemble donne de nouvelles idées d’exploration aux firmes pétrolières. La nouvelle stratégie de ces acteurs consiste à s’emparer des permis de l’autre côté de l’Atlantique après que des découvertes ont été faites d’un côté. C’est la théorie du miroir qui relance ou lance la recherche dans des zones encore largement sous-explorées. Cela allant de pair avec l’amélioration des techniques et la meilleure connaissance des zones où le pétrole et le gaz peuvent être piégés.
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