Auteur (s): Michel Luntumbue
Organisation affiliée: Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)
Type de publication: Note d’analyse
Date de publication: 9 octobre 2012
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Contexte et formes de la criminalité transfrontalière en Afrique de l’Ouest
D’une manière générale, on observe en Afrique de l’Ouest une corrélation entre les zones de conflits ou post-conflits (Sierra Leone, Liberia, Casamance, Delta du Niger, etc.), et les zones d’extension de la criminalité et des trafics illicites de toutes sortes. Les espaces frontaliers qui vont de la Guinée-Bissau à la Casamance, de la Sierra Leone au Liberia, en passant par la Côte d’Ivoire, des criques du Delta du Niger à l’arc sahélo-saharien, sont les plus concernés.
Le développement de la criminalité transfrontalière reste dans une large mesure la conséquence des conflits sociopolitiques ayant abouti à l’affaiblissement du contrôle des États dans certaines zones frontalières ou certaines zones de crises devenues endémiques. Les activités illicites se nourrissent également de l’érosion des capacités de redistribution des États et de la fracture socio-économique. Combiné à la fragilité des institutions judiciaires et policières locales, le commerce illicite s’affirme à l’évidence comme un facteur important de vulnérabilité des sociétés à la corruption.
Le trafic de drogues
La sous-région ouest-africaine se trouve au cœur d’un « commerce triangulaire » de drogues illicites en pleine expansion : cocaïne en provenance d’Amérique du Sud, héroïne en provenance d’Asie et plus récemment, les drogues de synthèse produites localement. L’Afrique de l’Ouest représente la voie d’entrée la moins onéreuse pour l’expédition de la drogue d’Amérique du Sud vers l’Europe. La cocaïne provient essentiellement de trois pays : la Colombie, le Pérou et la Bolivie.
L’Europe est le deuxième marché de la cocaïne après les États-Unis, avec une consommation estimée à 123 tonnes, soit 28 % de la consommation mondiale. La drogue, produite et acheminée d’Amérique du Sud, déjoue le dispositif de sécurité européen en trouvant en Afrique de l’Ouest des conditions particulièrement favorables au transit de produits illicites : l’instabilité qui prévaut dans certains pays, la carence des moyens de surveillance des zones côtières, ainsi que la facilité de corruption, permettent aux relais locaux de stocker la cocaïne avant son acheminement, par voies terrestre, aérienne et maritime, vers d’autres pays de la sous-région et enfin vers l’Europe.
Aussi, les comportements criminels et la corruption qui accompagnent le circuit de la cocaïne constituent une menace évidente pour la gouvernance et la stabilité des institutions de nombreux pays. La Guinée-Bissau, « narco-État » affecté par une violence cyclique, est l’exemple le plus éloquent de l’impact des trafics dans la sous-région. Outre la déstabilisation institutionnelle, l’extension du trafic de drogues en Afrique de l’Ouest est porteuse de conséquences dévastatrices pour la santé et la cohésion des communautés locales.
Toutefois, la menace ultime représentée par le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest réside dans les alliances possibles entre trafiquants et divers autres groupes criminels et terroristes, en vue d’étendre leur influence. De par les liens géographiques, politiques et économiques qui les unissent, en effet, la côte maritime de l’Afrique de l’Ouest et la zone sahélienne forment un ensemble.
Le développement du trafic de drogue sur la frange côtière en Guinée-Bissau, au Liberia ou en Sierra Leone entretient des relations étroites avec d’autres activités illicites en cours dans la région. Pour nombre d’analyses, les recettes issues des différentes activités illicites interviennent dans le financement de l’activisme armé et le terrorisme dans la région du Sahel.
Le trafic d’armes
Les armes légères et de petit calibre (ALPC) issues de différents conflits qui ont touché la sous-région au cours de la dernière décennie circulent sans entraves en Afrique de l’Ouest. Initialement nombre de ces armes sont issues des stocks accumulés pendant la période de la Guerre froide, auxquels s’ajoutent aujourd’hui d’autres filières de production locale, dont la production artisanale. On estime à 100 millions environ le nombre d’armes illicites en circulation en Afrique sub-saharienne, dont 8 à 10 millions d’armes pour la sous-région ouest-africaine.
L’afflux et la circulation d’armes illicites ne sont pas les causes premières des conflits sur le continent africain, mais l’une des conséquences de l’instabilité et de l’effondrement du monopole de la violence légitime dans certains pays. Selon les données de l’année 2010, le trafic d’armes illégal était estimé globalement entre 200 et 300 millions de dollars, soit 20% du commerce licite mondial. Le continent africain demeure parmi les marchés les plus rentables pour la contrebande d’armes.
Les États sous sanctions internationales, les milices irrégulières et les groupes criminels sont parmi les principaux acteurs qui alimentent la demande d’armes illicites et favorisent le développement de réseaux de trafics. La circulation d’armes illicites en Afrique de l’Ouest se greffe sur une dynamique de structuration de véritables « systèmes de conflits », favorisant le recyclage d’armements d’un conflit à l’autre, et la diffusion de l’instabilité d’une zone de tension à l’autre. Comme l’a illustré le cas de la sous-région sahélo-saharienne en 2011, l’afflux d’armes à la faveur du conflit libyen et de l’intervention de l’OTAN est venue alimenter les activités de bandes criminelles organisées, de rébellions locales en latence et de groupes terroristes.
La traite des personnes et le trafic illégal de migrants
La traite des personnes est considérée comme l’une des trois activités illégales les plus importantes en termes de profit, avec la vente illégale d’armes et de drogues. En Afrique de l’Ouest, il s’agit d’un phénomène aux dimensions régionales, profondément enraciné dans le contexte de pauvreté et dans les conditions socio-économiques déplorables qui entravent la sécurité humaine et la protection effective des droits des catégories sociales les plus fragilisées.
Ce phénomène prend communément la forme d’un recrutement forcé d’enfants ou de jeunes filles et de femmes, à des fins d’exploitation économique ou sexuelle. Les enfants sont l’objet d’un trafic intra-régional, à la fois interne et transfrontalier, dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche ou de la mendicité. Le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Guinée-Conakry, le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo sont les principaux pays à partir desquels les enfants travailleurs sont acheminés vers les centres urbains et les sites agricoles d’autres localités et d’autres pays de la sous-région.
L’Afrique de l’Ouest représente la voie d’entrée la moins onéreuse pour l’expédition de la drogue d’Amérique du Sud vers l’Europe
La Guinée équatoriale, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Nigeria ou le Sénégal sont les principaux pays d’accueil. Toutefois, la plupart des pays de la région sont à la fois des pays de départ, de transit et d’accueil. Entre 200 000 et 300 000 enfants seraient chaque année victimes de la traite en Afrique occidentale et centrale, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), et l’Organisation internationale du travail (OIT).
La piraterie
La multiplication des actes de piraterie dans le golfe de Guinée semble indéniablement liée au développement du trafic maritime marchand, ainsi qu’à la découverte et à l’exploitation de pétrole au large des côtes d’autres pays que le Nigéria, principal producteur d’hydrocarbure dans la sous-région. Favorisés par l’instabilité persistante et par l’absence de dispositifs de surveillance dans les nombreuses zones côtières du golfe, les actes de piraterie ont des répercussions dramatiques pour l’économie des pays de la région.
La multiplication des attaques a en effet entraîné un doublement des primes d’assurance maritime et par conséquent, la baisse notable des recettes douanières et portuaires des pays côtiers. Le coût économique de la piraterie dans le golfe de Guinée est estimé à deux milliards de dollars de pertes par an. Un pays comme le Bénin, dépourvu des capacités navales et aériennes et des ressources nécessaires pour répondre au défi de la piraterie, a perdu 70 % de ses recettes commerciales, liées aux activités du Port autonome de Cotonou, qui représente 70 % du PIB national.
Cadres stratégiques et dispositifs juridiques
Le plan d’action régional de la CEDEAO
Les efforts des pays de la sous-région, en vue d’une lutte coordonnée contre la criminalité transfrontalière, s’inscrivent dans le cadre du Plan d’action régional de la CEDEAO adopté par les chefs d’État et de gouvernement à Abuja, en décembre 2009. Ce dispositif régional est une émanation du Plan d’action de l’Union africaine (UA) sur la lutte contre la drogue et la prévention de la criminalité (PAUA). Lancé en janvier 2008, pour une période de cinq ans, le PAUA a pour objectifs « de renverser les tendances actuelles de la toxicomanie et du trafic de la drogue, du crime organisé, de la corruption, du terrorisme et des défis liés au développement socioéconomique et à la sécurité humaine et d’améliorer le bien-être social des populations en Afrique ».
Le PAUA vise également « à renforcer les capacités des […] communautés économiques régionales et des États membres en matière d’élaboration et de coordination de la mise en œuvre des politiques de lutte contre la drogue et de prévention du crime ». À ce titre, le Plan d’action de la CEDEAO est une traduction, à l’échelon régional, du PAUA.
La menace ultime représentée par le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest réside dans les alliances possibles entre trafiquants et divers autres groupes criminels et terroristes, en vue d’étendre leur influence
À l’échelon national, l’ONUDC s’appuie sur les Programmes nationaux intégrés contre le trafic illicite et le crime organisé (PNI) qui constituent les bases de la mise en œuvre du Programme régional.
Le dispositif de lutte contre la traite des êtres humains
L’acte fondateur de la stratégie ouest-africaine en matière de lutte contre la traite des êtres humains est l’adoption en 2001 de la Déclaration politique et du Plan d’action initial de la CEDEAO sur la traite des personnes pour la période 2002-2003. Ce dispositif porte principalement sur un ensemble de stratégies et de mesures les plus urgentes à adopter par les États pour rendre effective une action régionale coordonnée : entre autres, l’adaptation des cadres juridiques et l’élaboration de politiques nationales de lutte, la protection et l’assistance aux victimes, la prévention et la sensibilisation, la collecte, l’échange et l’analyse d’informations, la spécialisation et la formation des intervenants, la systématisation des documents de voyage et d’identité.
Ce cadre a été complété par l’adoption d’un Plan d’action conjoint et la signature d’un Accord de coopération multilatérale de lutte contre la Traite des êtres humains, en particulier, des femmes et des enfants en Afrique centrale et de l’Ouest, en 2006. Cependant, si la plupart des États ouest-africains se sont dotés d’un cadre juridique en matière de lutte contre la traite, il subsiste dans les faits de nombreuses lacunes ainsi qu’un manque d’harmonisation et d’articulation entre les législations internes et les instruments juridiques internationaux signés par les États.
La Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre en Afrique de l’Ouest
La Convention de la CEDEAO sur les ALPC adoptée en juin 2006 est entrée en vigueur en novembre 2009, à la suite de sa ratification par un neuvième État membre, le Bénin. Jusqu’à cette date, la problématique des armes légères en Afrique de l’Ouest était régie par un « Moratoire sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères ». Les lacunes de ce texte non contraignant et régulièrement enfreint, justifie l’adoption de la Convention sur les ALPC.
Les États s’engagent par ailleurs à établir une liste exhaustive des producteurs locaux d’ALPC et à procéder à leur enregistrement dans les registres nationaux d’armes, ainsi qu’à transmettre les données sur les types d’armes, la quantité et leur production annuelle au Secrétaire exécutif de la CEDEAO. La Convention interdit en principe la détention, l’usage et le commerce des armes par les civils mais pose le principe d’une licence pour encadrer la détention individuelle d’une ou plusieurs armes de petit calibre et leurs munitions, en conformité avec la législation nationale de chaque État membre
Les États sous sanctions internationales, les milices irrégulières et les groupes criminels sont parmi les principaux acteurs qui alimentent la demande d’armes illicites
L’Initiative de la Côte ouest-africaine (WACI)
La WACI (West African Coast Initiative) est une initiative spécifique créée en 2009, en appui au Plan régional d’action de la CEDEAO. Il s’agit d’un projet pilote visant à lutter contre le trafic de drogues et le crime organisé dans les pays en transition post‐conflit.
La WACI est un dispositif d’assistance technique s’inscrivant dans le cadre des Programmes nationaux intégrés. Le volet principal de ce dispositif est la mise en place d’Unités de lutte contre la criminalité transnationale (UCT) dans chacun des quatre pays bénéficiaires. Les UCT sont des unités inter‐agences chargées du renseignement opérationnel, de la collecte et l’analyse des informations dans les affaires criminelles.
Conclusions et perspectives
En dépit de quelques avancées, les initiatives mises en place en matière de lutte contre la criminalité transfrontalière en Afrique de l’Ouest ne semblent pas encore en mesure de contrecarrer le développement des réseaux de crime organisé. Le caractère relativement récent de ces dispositifs est l’une des explications évidentes de leur faible impact. En second lieu, il convient de rappeler les faibles capacités institutionnelles et redistributives des États de la région au regard de l’ampleur des défis à relever.
De toute évidence, les États de l’Afrique de l’Ouest ne peuvent éradiquer la menace des réseaux criminels transnationaux sans aide extérieure conséquente. Loin de constituer un défi pour les seuls États de la sous-région, la criminalité transnationale organisée reste, par ses impacts, une menace pour la paix et la sécurité humaine, le développement économique, social, culturel et politique à l’échelle planétaire. Cependant, pour être pleinement efficient, le soutien de la communauté internationale aux pays d’Afrique de l’Ouest devrait s’inscrire dans le long terme. Dans un contexte mondial marqué par le ralentissement économique, la versatilité de l’aide mobilisable auprès des partenaires pourrait, en effet, venir fragiliser les perspectives de lutte.
Aux côtés des indispensables réponses répressives, axées sur la détection et la sanction des crimes et infractions, le contrôle des frontières, l’harmonisation des cadres juridiques, la réforme des systèmes de sécurité, etc., certaines initiatives préventives novatrices sont aussi conçues par les acteurs locaux, pouvant utilement constituer une approche compréhensive des différentes dimensions des défis complexes posés par la criminalité transnationale. Ces initiatives s’articulent autour du concept de « pays-frontière ou d’intégration de proximité », initié par la CEDEAO en 2005, dans le cadre de son Programme d’initiatives transfrontalières locale.
Selon cette approche, les espaces frontaliers qui sont souvent au cœur de tensions multiples et de litiges engendrés par les différents trafics illicites qui s’y déroulent, d’antagonismes autour des ressources naturelles de grande valeur pâturages, ressources minières et pétrolières, etc. peuvent aussi être abordés comme des points d’appui de politiques innovantes de développement local et d’intégration régionale, servant ainsi de vecteurs d’une dynamique de paix dans la sous-région.
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