Auteur (s): Cairn.info
Type de publication: article
Date de publication: 2013
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Attentats suicides, attaques à répétition contre les forces de l’ordre, enlèvement spectaculaire de toute une famille française dans le parc de Waza à la frontière du Cameroun : la secte islamiste Boko Haram a remis le Nigeria sous les feux de l’actualité. D’aucuns craignent en effet que les insurgés n’établissent une connexion opérationnelle avec les éléments d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui ont dû fuir le Nord du Mali devant la poussée de l’armée française.
Malgré (ou à cause de) la férocité de la répression gouvernementale, la résilience de Boko Haram pose, en outre, de sérieuses questions sur la capacité de l’État nigérian à maîtriser de tels soulèvements. En dépit des apparences, le Nigeria n’est en fait pas au bord de la rupture ou de la guerre civile. L’immense majorité des musulmans du pays ne se retrouvent absolument pas dans les thèses extrémistes de Boko Haram, dont la déviance doctrinaire est même condamnée par les groupes les plus fondamentalistes. De plus, l’establishment islamique du Nord ne veut certainement pas d’une partition confessionnelle, qui le priverait des ressources pétrolières du delta dans le Sud à dominante chrétienne.
D’aucuns craignent en effet que les insurgés n’établissent une connexion opérationnelle avec les éléments d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) qui ont dû fuir le Nord du Mali devant la poussée de l’armée française
En revanche, les crispations religieuses que le phénomène Boko Haram a exacerbées dans le pays le plus peuplé d’Afrique doivent être prises en compte. Premier producteur de pétrole du continent, et premier partenaire commercial de la France au Sud du Sahara, le Nigeria est en effet un géant anglophone dont les troubles internes ont un impact sur l’ensemble de la région, notamment dans le pré carré francophone.
Charia et « politisation » de l’islam : un héritage colonial
Aujourd’hui, les virulents débats sur l’application de la charia se développent en effet dans le cadre d’un État fédéral qui, malgré tout, se veut favorable à la liberté de religion. Dans des proto-États théocratiques comme le califat de Sokoto, en revanche, l’islam était au pouvoir et ses émirs avaient instauré un ordre basé sur la justice coranique. Ce sont les Britanniques qui ont mis un coup d’arrêt à la poussée expansionniste et militaire des musulmans du Nord sahélien vers les régions boisées du Sud.
Le rôle du colonisateur a certes été ambigu. D’un côté, les Britanniques ont, en 1903, défait par les armes le califat de Sokoto, passé après 1914 sous la tutelle d’une capitale fort éloignée, à l’époque à Lagos. De l’autre, le colonisateur s’est appuyé sur l’establishment musulman pour administrer à moindre coût l’immense région du Nord.
Ce faisant, il a conforté le pouvoir de la noblesse haoussa-peule et des héritiers d’Ousman dan Fodio, entre-temps ralliés à la Couronne britannique. Selon l’anthropologue Murray Last, le califat de Sokoto aurait, sinon, pu succomber à ses divisions internes, exacerbées par la pression démographique. Dans tous les cas, il n’aurait sans doute pas réussi à étendre son influence sur l’ensemble de la région administrative du Nord sans l’arrivée des Britanniques.
Dans des proto-États théocratiques comme le califat de Sokoto, en revanche, l’islam était au pouvoir et ses émirs avaient instauré un ordre basé sur la justice coranique
Démographie et religion : le véritable enjeu
On estime qu’en 1900 14 % des habitants de l’Afrique subsaharienne étaient musulmans et 9 % chrétiens, contre respectivement 29 % et 57 % en 2010. Autrement dit, on peut davantage parler d’une christianisation du continent noir au cours du siècle passé. Les idées reçues à propos d’une islamisation quantitative de l’Afrique subsaharienne ne sont absolument pas confirmées. Dans le Sud du Nigeria, on relève bien quelques cas de conversion à l’islam en pays ibo ou dans le delta du Niger.
Dans le Sud-Ouest du Nigeria, le pays yorouba, lui, a été islamisé bien avant, peut-être dès le XVIIIe siècle. D’après un recensement conduit dans la seule ville de Lagos par le colonisateur en 1891, par exemple, 44% des 32 000 habitants de l’agglomération à l’époque s’avéraient être musulmans. Reflet de cette présence ancienne, tous les gouverneurs de Lagos élus après l’indépendance (Lateef Jakande en 1979-1983, Bola Tinubu en 1999-2007 et Raji Fashola depuis 2007) ont été musulmans, à l’exception du bref intermède de Michael Otedola en 1992-1993.
Toutefois, les études disponibles en relativisent largement la portée. En Afrique subsaharienne en général, et au Nigeria plus particulièrement, les sondages du Pew Research Center montrent que ni l’islam ni le christianisme ne se développent au détriment l’un de l’autre. Le Nigeria est aujourd’hui le sixième pays du monde à l’aune du nombre de musulmans.
Au Nigeria, comme dans d’autres pays africains à la lisière du Sahel, la démographie des religions est en revanche un enjeu de tensions politiques et symboliques qui expriment bien les inquiétudes récurrentes de nations inachevées, quoi qu’il en soit par ailleurs de la proportion réelle de musulmans ou de chrétiens.
En d’autres termes, tant l’islamisation que la christianisation d’un pays émergent comme le Nigeria sont susceptibles de modifier les équilibres régionaux et mondiaux dans les années à venir. Elles doivent être appréhendées conjointement, et non de façon séparée. De même, l’analyse ne doit pas être limitée au seul cas de la dérive terroriste de Boko Haram. Fort ancienne, l’intrusion de la religion dans le champ politique mérite d’être étudiée un peu plus finement qu’à travers le prisme du terrorisme et du choc des civilisations.
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