Auteur(s) : Philippe Hugon
Type de publication: Article
Date de publication: mars 2001
Lien vers le document original
On observe, à l’échelle mondiale, une extension des zones en guerre. Depuis la fin de la guerre froide en 1989, plus de 60 conflits armés ont fait des centaines de milliers de morts et 17 millions de réfugiés. En Afrique, on estime que sur 11 pays en conflit durant les années 90 (Soudan, Éthiopie, Ouganda, Mozambique, Angola, Liberia, Sierra Leone, Burundi, Rwanda, ex-Zaïre, Congo), le nombre de morts serait de 3,8 à 6,8 millions, soit 2,4 à 4,3 % de leur population totale (155 millions d’habitants). En 2000, 20 % de la population africaine et 14 pays étaient concernés par la guerre. On estimait le nombre de réfugiés à 4 millions et celui des déplacés à 10 millions.
Face à la montée des conflits armés, les actions classiques de développement économique ont, aujourd’hui, souvent perdu de leur signification. Dans de nombreux pays africains, l’aide humanitaire et d’urgence a pris le pas sur l’aide au développement, et le très court terme l’emporte désormais sur les projets de long terme.
Les conflits ouverts se caractérisent par des antagonismes et des oppositions entre agents collectifs pouvant aller jusqu’à la lutte armée. Ils peuvent prendre une forme armée et conduire à des violences militaires extrêmes (deadly conflict). Les conflits internes, entre les citoyens d’une même nation (guerres civiles, rébellion), se distinguent traditionnellement des conflits externes (guerres internationales).
La guerre, selon Karl von Clausewitz, est « un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté » ; il s’agit d’un conflit armé entre des nations, des États, des groupes humains. Les conflits infra-étatiques actuels sont régionalisés ou mondialisés, avec une forte érosion de la distinction entre le public et le privé, le militaire et le civil, l’interne et l’externe.
Aux conflits de la période de la guerre froide, caractérisés par des oppositions idéologiques et des soutiens des grands blocs, ont fait place des guérillas multiformes, davantage intra-africaines, avec retrait des grandes puissances. Ces guerres mobilisent de petits effectifs ; elles utilisent des armes « labor intensive ». Elles sont financées par des diasporas, la mobilisation forcée et par les grandes entreprises
Les conflits et les guerres sont au coeur des sciences politiques, des comportements de pouvoir et de volonté de puissance. Ils s’expliquent également par les enjeux économiques, le sous-développement économique, par des économies de rentes et de prédation et par la montée en puissance d’une économie mondiale criminelle et mafieuse. Il y a toutefois risque à rationaliser l’irrationnel, et réduire l’homo bellicus à un homo oeconomicus, ou l’explication des guerres au capitalisme mondialisé.
La seconde question concerne la spécificité africaine des conflits armés. Aux conflits de la période de la guerre froide, caractérisés par des oppositions idéologiques et des soutiens des grands blocs, ont fait place des guérillas multiformes, davantage intra-africaines, avec retrait des grandes puissances. Ces guerres mobilisent de petits effectifs ; elles utilisent des armes « labor intensive ». Elles sont financées par des diasporas, la mobilisation forcée et par les grandes entreprises. Elles sont également liées à la mondialisation en cours. Elles se rapprochent enfin, selon certains symptômes, des guerres du Moyen Âge, même s’il y a danger à croire que l’histoire se répète.
Les orientations possibles : prévention des conflits et développement économique
Les solutions de prévention et de réduction des risques de conflits sont évidemment complexes et diverses. Les processus de décision peuvent chercher à circonscrire la catastrophe, aider les victimes ou éviter de nouvelles crises. La sécurité ne peut évidemment pas être le fruit des seules mesures de sécurité qui s’en prennent aux manifestations et non aux causes de la violence et des conflits. Les solutions envisageables diffèrent selon le niveau auquel on se situe : conflits internationaux, déficit des États de droit ou risque systémique dans un secteur donné. Nous différencierons plusieurs modalités d’interventions à différents niveaux.
La mise en place de systèmes d’information, du jeu démocratique et d’une citoyenneté
Le rôle de l’information est essentiel pour prévenir ou circonscrire les crises et les conflits. Du fait de la dissémination des guerres, des conflits ou des lieux de crise depuis la fin de la guerre froide, les observatoires universels sont insuffisants. Les zones de « chaos bornés » demeurent des « terrae incognitae ». Il faut décentraliser les moyens d’observation.
Il existe des observatoires, des signaux d’alarme ou des systèmes d’alerte qui annoncent l’imminence de catastrophes. Il est relativement aisé aujourd’hui, par les systèmes d’information existant, de prévoir la majorité des catastrophes. Les zones à risque sont connues. En revanche, subsistent des chaînons manquants entre les cercles d’experts et les décideurs politiques.
On peut considérer que la démocratie représentative et participative est la forme de gouvernement qui limite le plus les conflits, à condition de ne pas la réduire au multipartisme ou à la liberté de la presse. L’essentiel concerne les jeux de contre-pouvoirs et la constitution d’une société civile forte, complémentaire d’un État fort. Les droits politiques sont nécessaires pour satisfaire les besoins et surtout pour les exprimer. L’espace social doit être transparent pour défendre les plus faibles.
La « voice », au sens de Hirschman, est essentielle pour éviter les conflits. Mais le jeu démocratique est souvent circonscrit aux seuls pays riches. La démocratie résulte de droits acquis par des luttes et de contrats acceptés par des acteurs. Elle ne s’impose pas de l’extérieur des sociétés. Elle suppose, en Afrique, la constitution de partis politiques, d’associations et d’organisations de la société civile permettant une citoyenneté. La construction de la démocratie interdit la décalcomanie ; elle doit, au contraire, s’appuyer sur les institutions « traditionnelles » et les modes de résolution des conflits.
La question internationale de la régulation d’un « monde sans loi »
Le second niveau concerne la régulation d’un « monde sans loi ». Les mesures supposent des négociations sur les biens publics internationaux et des systèmes de respect des normes et des règles. Les domaines vont du contrôle des places financières off shore, aux trafics de produits illicites (drogues) ou de produits licites contrôlés par des mafias, en passant par le commerce des armes. Une coopération internationale s’impose notamment pour limiter le trafic des armes, réguler le commerce des produits finançant la guerre (diamants, pétrole, drogues), et contrôler les centres off shore liés aux économies mafieuses.
Ces accords peuvent être conçus sur le modèle du moratoire sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères, signé par 8 pays du Sahel-Soudan, au mois de mars 1997, sur celui des accords signés au sein de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) ou sur le programme d’échange armes contre développement, au sein de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Les pays exportateurs d’armes pourraient, par exemple, interdire la vente à des pays endettés bénéficiant des mesures PPTE (Pays pauvres très endettés).
Une coopération internationale s’impose notamment pour limiter le trafic des armes, réguler le commerce des produits finançant la guerre (diamants, pétrole, drogues), et contrôler les centres off shore liés aux économies mafieuses
Dans un monde où le poids des grands groupes privés l’emporte sur celui des États, les négociations doivent concerner également les codes de conduite des firmes pétrolières, diamantaires, financières ou productrices d’armes. Bien entendu, la mise en œuvre de la transparence est rendue particulièrement délicate du fait de la collusion d’intérêts entre des États et des circuits mafieux et criminels, et du fait des difficultés propres à la traçabilité des diamants.
La politique redistributive et les compromis sociopolitiques
Dans la mesure où la guerre renvoie en partie à des intérêts économiques, des mécanismes compensatoires et des vigilances vis-à-vis des changements dans les mécanismes redistributifs s’imposent. Réduire le coût d’opportunité de la guerre pour les jeunes suppose qu’ils reçoivent une formation scolaire qui les structure et développe leur esprit critique, des activités qui les occupent et des symboles qui les motivent.
Avoir des actions préventives suppose que les mécanismes redistributifs aux minorités soient respectés, sous forme de quotas, d’accès à l’éducation et à la santé. Les mesures, rationnelles économiquement, de libéralisation ou de privatisation peuvent remettre en question les compromis sociopolitiques et les équilibrages régionaux (comme c’est le cas en Côte-d’Ivoire).
La constitution d’interdépendances et d’intérêts régionaux croisés
Créer des projets communs, des institutions régionales, faciliter les flux régionaux de commerce, de travail et de capitaux, et donc des interdépendances économiques, est une manière de faciliter le dialogue et de contourner les antagonismes politiques.
Réduire le coût d’opportunité de la guerre pour les jeunes suppose qu’ils reçoivent une formation scolaire qui les structure et développe leur esprit critique, des activités qui les occupent et des symboles qui les motivent. Avoir des actions préventives suppose que les mécanismes redistributifs aux minorités soient respectés, sous forme de quotas, d’accès à l’éducation et à la santé
Les travaux de Palachek, repris par Winters et Schiff, ont montré que l’intégration régionale réduisait les risques de conflits. Elle peut ainsi constituer un « first best »par rapport au libre-échange en créant une sécurité favorable à la croissance. Ainsi, en Asie de l’Est, le jeu des intérêts croisés autour du régionalisme réticulaire, peu institutionnalisé et ouvert, est une manière de dépasser les conflits latents, très élevés dans une zone en voie de surarmement.
Les puissances régionales exercent des effets de polarisation, constituent des puissances hégémoniques et sont devenues les principales bénéficiaires de ces intégrations régionales. Elles ont, en contrepartie, des obligations à l’égard des nations périphériques. Et si ces puissances (Côte-d’Ivoire au sein de l’UEMOA ou Afrique du Sud au sein de la SADC) exercent bien leurs obligations vis-à-vis des pays membres des unions régionales, encore faut-il rappeler qu’il y a des privilégiés et des laissés-pour-compte, qu’il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de compensation, et qu’en cas de non-intégration nationale, la contrepartie est rendue très difficile.
Le partage de responsabilité entre l’État et la société civile
Le débat entre les théories constructivistes, mettant en avant les normes, et les théories réalistes doit être dépassé dans une perspective dynamique procédurale en termes d’agendas et de processus. C’est en priorité aux États et à leurs organisations mondiales et régionales qu’incombe la responsabilité de prévenir et de faire cesser les affrontements armés, et de rechercher les solutions pacifiques.
La mise en place de conditionnalités à l’aide, favorisant les jeux démocratiques et l’émergence d’États de droit, est évidemment une des réponses aux préventions des conflits armés. Il importe qu’un médiateur institutionnel joue son rôle pour transformer les conflits en jeux coopératifs. Ceci peut se faire, à défaut d’un contrat social respecté par les acteurs, par un tiers garant national régional ou international.
Obligation pour les autorités gouvernementales d’autoriser les organisations humanitaires à répondre aux catastrophes si ces autorités n’en ont pas les moyens. Le droit d’ingérence est devenu une nécessité face aux carences des États de droit
La prise en charge du collectif peut être également assurée moyennant contrat, par les acteurs de la société civile, voire par le secteur privé avec cahier des charges. Les ONG sont souvent plus à même de s’adapter aux situations complexes des conflits armés décentralisés. Il y a également obligation pour les autorités gouvernementales d’autoriser les organisations humanitaires à répondre aux catastrophes si ces autorités n’en ont pas les moyens.
Le droit d’ingérence est devenu une nécessité face aux carences des États de droit. Il y a, depuis peu, création de réseaux, nationaux et internationaux, d’associations privées de solidarité internationale et de secours aux victimes. Selon Jacques Forster : « L’action humanitaire ne peut pas être la poursuite de l’action politique par d’autres moyens. Elle ne doit ni se substituer ni être intégrée au politique. La responsabilité de l’État dans le domaine humanitaire est de promouvoir, de soutenir et donner les moyens d’agir aux institutions humanitaires impartiales et indépendantes ».
La question est ainsi de favoriser la démocratie représentative et participative par la multiplication des instances de décision et de contre-pouvoir, et par des acceptations de la différence et de la gestion de communautés participant au même contrat social. Bien entendu, à terme, la réduction des risques de guerre passe par la constitution d’économies productives, diversifiées et interdépendantes.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.