Auteur (s): Barthélémy Blédé et André Diouf
Organisation affiliée: Institut d’études de sécurité (ISS)
Type de publication: Résumé de rapport
Date de publication: Août 2016
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La piraterie est en baisse au large des côtes togolaises
Les nombreux incidents de piraterie et de vol à main armée sur les navires enregistrés au Togo entre 2011 et 2013, peuvent s’expliquer par la quasi-inexistence de mesures appropriées pour affronter ce phénomène. Le Togo a particulièrement souffert en 2012 et 2013 des effets pervers du succès de l’opération Prospérité lancée en septembre 2011 par le Bénin et le Nigéria. Cette opération, qui consistait à mettre en place des patrouilles conjointes, a permis d’éloigner les pirates du Bénin qui avait fait l’objet de 20 attaques en 2011.
Ceux-ci ont dû migrer vers les eaux togolaises plus perméables. Cependant, depuis deux ans, on constate une nette baisse de l’insécurité sur le littoral togolais : le pays renforce la surveillance de ses eaux. Les patrouilles de la marine nationale – dont la base est logée dans l’enceinte portuaire – offrent aux navires une aire de sécurité qui les rassure. L’année 2015 fut particulièrement bonne pour ce pays qui n’a enregistré aucun acte de piraterie sur un total de 31 attaques ou tentatives d’attaques menées dans le golfe de Guinée (voir tableau).
Les programmes anti-piraterie mis en place dans la région pourraient avoir contribué à la sécurisation du secteur maritime togolais. Le pays bénéficie du projet français d’Appui à la réforme du secteur de la sécurité maritime dans le golfe de Guinée (ASECMAR), de celui de l’Union européenne (UE) dénommé « Critical maritime route project for Gulf of Guinea (CRIMGO) », ainsi que de l’opération Obangame Express à travers laquelle les États-Unis mènent chaque année des exercices de simulation d’incidents de sûreté. Ces initiatives participent au renforcement des capacités des principaux acteurs de la sûreté maritime dont la marine nationale et la police maritime.
Le secteur de la pêche en difficulté
La production annuelle de poissons qui se situe entre 20 000 et 25 000 tonnes est très loin de couvrir les besoins de la population estimés à environ 70 000 tonnes par an. Ce faible tonnage peut se justifier par la surpêche, les mauvaises techniques de capture et la pauvreté naturelle des eaux maritimes qui fournissent 80 % de la production nationale. En effet, d’une part, le plateau continental naturel du Togo est trop étroit (large seulement de 23 km) pour permettre les remontées d’eau (upwelling), un phénomène naturel favorable à la vie des poissons que l’on peut observer dans les pays voisins du Togo (au Ghana et en Côte d’Ivoire). « Au Togo, c’est l’effet contraire du upwelling qui se produit », explique un océanographe togolais.
D’autre part, le nombre de pêcheurs est trop élevé relativement à la ressource disponible. Leur population est estimée à 5 000 personnes identifiées exerçant avec environ 500 pirogues. Elle pourrait dépasser ce chiffre, certains pêcheurs ne se faisant pas connaître. En outre, on observe dans le secteur des pratiques de nature à accélérer la raréfaction du poisson, notamment celle de la senne de plage qui est pourtant interdite. Les pêcheurs utilisent aussi des filets mono filament à mailles très serrées qui capturent les poissons immatures et empêchent la reproduction.
Les maigres prises de ces pêcheurs à la senne, exerçant chaque jour par groupes de 20 à 30 individus sur la plage de Lomé, témoignent de la pauvreté des eaux et de la précarité de la vie des pêcheurs artisans. Le produit d’au moins une heure d’efforts physiques consiste en quelques juvéniles dont la valeur marchande ne peut souvent excéder 5 000 francs CFA, soit moins de 10 dollars.
Les programmes anti-piraterie mis en place dans la région pourraient avoir contribué à la sécurisation du secteur maritime togolais
Quant à la pêche continentale, elle est principalement pratiquée sur les fleuves Oti et Mono et dans les retenues d’eau, notamment le barrage de Nangbéto dont la production avoisinait les 1 700 tonnes de poisson en 2015. Les fermes piscicoles, pour leur part, ont contribué à hauteur de 30 tonnes à la production nationale de l’année. Le pays reste ainsi à plus de 70 % dépendant des importations de poisson.
Le gouvernement est critiqué aussi bien pour la qualité des produits importés que pour sa politique de promotion des activités halieutiques. En novembre 2015, par exemple, une affaire de tilapias intoxiqués en provenance de Chine avait provoqué la colère des associations des consommateurs. Des pêcheurs togolais estiment également que le gouvernement n’en fait pas assez pour aider le secteur.
En 2009, à travers le Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire, l’État ambitionnait de relancer l’activité halieutique avec l’objectif d’atteindre une production de 40 000 tonnes par an à l’horizon 2015. Ce but n’a pas été atteint. Néanmoins, quelques actions en faveur de la production halieutique ont été entreprises. Par exemple, l’administration chargée des pêches déclare chaque année des périodes de repos biologique des espèces une mesure que les pêcheurs ne respectent pas toujours.
Le Togo et son pavillon de complaisance
L’UE et l’Organisation maritime internationale (OMI) ont accusé le Togo de favoriser la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) en créant en 2008 son registre international de libre immatriculation. L’International Registry Bureau, la société grecque chargée de gérer ce registre, opère à partir d’Athènes, loin de l’administration togolaise. Ce qui signifie que le Togo n’exerce pas de contrôle sur l’octroi de sa nationalité aux navires alors qu’il endosse de ce fait la responsabilité de leurs agissements.
C’est ainsi que des navires « togolais » sont parfois engagés dans des activités de pêche illicite. Pour cette raison, sur recommandation de l’UE et de l’OMI, le Togo a suspendu l’immatriculation des navires de pêche sous ce registre. En appui à cette décision, le gouvernement a procédé à la radiation en 2010 des navires de pêche battant pavillon togolais et propriétés d’armateurs étrangers. Le seul bâtiment auquel la décision ne s’est pas appliquée est le Patrick, un chalutier togolais de 25 mètres appartenant à des intérêts italiens et dont l’équipage, excepté le capitaine de nationalité italienne, est entièrement composé de Togolais et de Béninois.
Malgré cette décision, le Togo a reçu en 2012 un avertissement de l’UE pour négligence dans la prise de mesures de lutte contre la pêche INN. Par ailleurs, rien ne prouve que les navires de pêche radiés du registre d’immatriculation aient cessé leurs activités dans les eaux internationales.
L’UE et l’Organisation maritime internationale (OMI) ont accusé le Togo de favoriser la pêche illicite
En regard des problèmes qu’il crée, quelles sont les sommes que rapporte au pays le registre international de libre immatriculation ? Les informations sur les royalties versées par la société grecque restent secrètes. Cependant, il est rapporté que le grand nombre de navires de commerce immatriculés sous ce pavillon de complaisance (647 en 2015) ne procure pas d’emplois aux Togolais. Les armateurs ne recrutent pas de marins togolais et n’en ont pas l’obligation.
De la sûreté du Port autonome de Lomé
La croissance du trafic perturbée par les actes de piraterie
Le trafic marchandises du port est en constante progression depuis 1990. Néanmoins, il a connu une chute en 2012, passant de 8,2 à 7,7 millions de tonnes. Ce recul est la conséquence des nombreuses attaques au large de la côte togolaise qui ont fait disparaître le trafic de lignes qui s’élevait à environ 2 millions de tonnes en 2010 et 2011.
Lomé, un port important pour les pays sans littoral
Le trafic transit représente une part importante des marchandises traitées au port de Lomé qui vient en deuxième position après celui de Cotonou pour la desserte de l’arrière-pays portuaire ouest-africain. Le trafic transit est en forte progression depuis 1990 hormis une baisse due au départ des navires de lignes en 2012 pour les raisons déjà évoquées. A partir de 2013, il connaît une hausse importante, passant de 2,2 à 3,4 millions de tonnes en 2014. Le Burkina Faso, qui participe à plus de 40 % à ce trafic, a fait transiter par le port de Lomé plus de 1,2 million de tonnes de produits en 2014 contre 850 000 tonnes l’année précédente.
La préférence des pays sans littoral pour le port de Lomé, entre autres facteurs, peut être mise à l’actif du Conseil national des chargeurs du Togo (CNCT). Dans sa mission de facilitation du trafic, il a créé des parkings à Djéréhouyé, Blitta, Agaradé et Hodougbé afin d’éviter le stationnement anarchique des camions sur la chaussée. En sus de cette mesure limitant les encombrements, le CNCT a acquis des engins pour le remorquage des camions en difficulté.
La DAM et la DPA
La Direction des affaires maritimes (DAM) est chargée de l’administration de la marine marchande. A ce titre, elle assure des missions clé dont la gestion de la carrière du marin, les visites techniques des navires, leur immatriculation, et l’arbitrage des différends du secteur maritime.
La DAM est également l’interlocutrice du secrétariat de l’OMI. En cette qualité, elle est chargée de veiller à l’application des conventions internationales. Ainsi, le suivi de la mise en œuvre du Code ISPS lui incombe sous la tutelle du ministère des Infrastructures et des Transports, autorité désignée pour le suivi des procédures dudit code au Togo.
Malgré les diverses missions qu’elle est censée remplir, la DAM ne dispose pas de ressources humaines conséquentes. Son personnel ne comprend qu’une quinzaine d’agents dont deux administrateurs des affaires maritimes. L’unique inspecteur technique des navires employé a été admis à la retraite en fin 2015 et est lié à la direction par contrat. En outre, cet effectif réduit est confiné dans des bureaux étroits ; une situation d’exiguïté aggravée par l’accueil momentané de stagiaires.
La Direction des pêches et de l’aquaculture (DPA) semble mieux nantie en infrastructures. Elle est néanmoins également confrontée à un problème de ressources humaines, avec seulement trois agents dans chacune de ses trois sections. Comme la DAM, elle ne dispose d’aucun moyen nautique pour remplir sa mission de contrôle des navires de pêche.
Une réforme structurelle pour une sûreté maritime durable
L’architecture
En 2014, le Togo a mis en place une structure dite « Organisme national chargé de l’action de l’État en mer (ONAEM) » dont l’objectif est d’apporter une solution durable aux problèmes sécuritaires et environnementaux du pays dans le domaine maritime.
Le décret n° 2014-113/PR du 30 avril 2014 relatif à l’action de l’État en mer précise que l’ONAEM a pour mission de « renforcer l’action des administrations publiques et de coordonner les efforts intersectoriels avec pour objectif de préserver les intérêts maritimes du Togo ». La structure se compose principalement du Haut Conseil pour la mer présidé par le chef de l’État, d’un conseiller pour la mer ayant rang de ministre, et d’une préfecture maritime.
Le conseiller pour la mer, aussi dénommé « ministre-conseiller », préside les réunions interministérielles relatives à l’action de l’État en mer. Il joue le rôle de secrétaire permanent du Haut Conseil pour la mer. En dépit du décret conférant au préfet maritime la qualité de représentant de l’État en mer, ce rôle semble incomber au ministre-conseiller. Ce dernier, conformément à l’article 4 du décret n° 2014-173/PR du 16 octobre 2014, lui adresse annuellement une lettre de mission dans laquelle il définit les objectifs à atteindre.
Le préfet maritime assure la coordination des acteurs impliqués dans l’action de l’État en mer pendant les exercices de gestion de crise et dans les situations réelles d’incidents de sûreté. Le lien hiérarchique entre les deux autorités n’est pas clairement défini, ce qui peut être source de conflits.
Il est aussi à craindre des difficultés de collaboration entre le préfet maritime et le chef d’état-major de la marine. Ce dernier dispose des moyens humains et navals utilisés prioritairement par la préfecture maritime qui, par ailleurs, est logée sur le même site que le commandement de la marine. Cependant, le préfet maritime n’a pas l’obligation de lui rendre compte.
La question du lien hiérarchique se posera avec plus d’acuité si le préfet maritime, en sa qualité d’officier supérieur, est moins gradé que le chef d’état-major de la marine. Ces problèmes peuvent être réglés si chaque acteur privilégie l’intérêt national. En dépit de ces réserves, l’ONAEM est un cadre organisationnel susceptible de contribuer à une meilleure sécurisation des eaux togolaises.
Les enjeux nationaux du sommet maritime
Le sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement qui aura lieu en octobre 2016 à Lomé sera le plus important rassemblement de l’Union africaine au niveau maritime, depuis l’adoption en janvier 2014 de la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans horizon 2050.
Cet événement, initialement prévu pour novembre 2015, semble particulièrement important pour le Togo et le pays en fait une priorité. Le président Faure Gnassingbé le promeut depuis presque deux ans. Sa dernière intervention importante sur cette question date du 26 septembre 2015 à New York où il a organisé une réunion à laquelle ont pris part les autorités d’autres pays africains.
Il n’est pas utile au Togo d’être le point de mire d’un rassemblement d’une telle envergure pour sécuriser ses eaux qui ne sont plus, par ailleurs, parmi les plus poreuses du continent. Ses attentes vont probablement au-delà de considérations d’ordre sécuritaire. Il pourrait plutôt chercher à se positionner sur l’échiquier international, les questions maritimes lui servant de porte d’entrée.
Il est aussi à craindre des difficultés de collaboration entre le préfet maritime et le chef d’état-major de la marine
La raison officielle invoquée l’année dernière pour justifier le report de la réunion était l’insuffisance des infrastructures d’accueil. Mais cet argument n’avait pas convaincu ; ce qui avait donné lieu à diverses interprétations. Certains attribuaient ce report au découragement des autorités qui n’avaient pas obtenu de la CEDEAO de localiser le siège du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest au Togo.
D’autres évoquaient des raisons politiques – il semblerait que certains mécènes de l’événement exigeaient que le sommet se tienne après fin janvier 2016, date de départ du président du Zimbabwe Robert Mugabe de la présidence de l’Union africaine.
Si l’événement attendu tient ses promesses, il pourrait faire oublier le sommet maritime du Cameroun de juin 2013. En plus d’être une rencontre limitée à l’Afrique de l’Ouest et du centre, le sommet de Yaoundé a produit un code de conduite sans valeur juridique contraignante à ce jour.
A l’opposé, la conférence de Lomé se tiendra à l’échelle continentale et pourrait donner naissance à un texte contraignant dit « Charte de Lomé sur la sûreté et la sécurité maritimes ». Il est fort probable qu’elle tire sa substance des codes de conduite de Djibouti et de Yaoundé et devienne le principal document de référence en matière de sûreté et de sécurité maritimes en Afrique.
Les retombées du sommet pourraient porter au-delà de l’image du Togo sur la scène internationale. Les hôteliers et les petits commerçants togolais pourraient espérer en profiter pour accroître leurs chiffres d’affaires, en ayant accès à quelques 4 000 à 5 000 délégués comme clients potentiels.
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