Auteur(s) : Jean-Marc Segoun et Detto Marius Zigbe
Affiliated Organization : Thinking Africa
Type de publication : Note d’analyse politique
Date de publication : Octobre 2017
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La réforme du système de sécurité (RSS) est l’ensemble des mesures prises par l’autorité politique en vue de transformer tous les acteurs et institution en charge de la sécurité ; elle redéfinit leurs rôles, leurs responsabilités, leurs actions et leur place dans le pays et les amène à accomplir leur mission dans un cadre respectant les normes démocratiques et les principes de bonne gouvernance. La RSS s’est imposée comme une urgence institutionnelle de reconstruction post-crise pour la Côte d’Ivoire, fragilisée par le conflit armé et la crise post-électorale de 2011.
Elle est d’une importance indéniable puisqu’elle conditionne l’instauration, le maintien, la consolidation de la paix et le développement durable qui permettent aux populations de se sentir en sécurité et d’avoir confiance dans les institutions étatiques. Elle crée un nouveau contrat social de citoyenneté dont les piliers sont la confiance et la collaboration entre acteurs sociaux et les politiques, entre acteurs sociaux et les forces de défense de sécurité. C’est aussi un processus par lequel les États formulent ou réorientent les politiques, les structures et les capacités des institutions et des groupes engagés dans le secteur de la sécurité, en vue de les rendre plus efficaces et de leur permettre d’être attentifs au contrôle démocratique et aux besoins de sécurité et de justice de la population, la RSS reste ainsi le processus post-crise le plus complet et indispensable.
La Côte d’Ivoire n’est donc pas en marge de ce processus du fait de la crise qui l’a sombré de décembre 1999 à avril 2011 et la situation sécuritaire jusqu’à ce jour. En effet, le mois de janvier 2017 a rappelé celui de décembre 1999 aux populations ivoiriennes, quand des mutins avaient abouti à un coup d’État mettant le Président Henri Konan Bedie hors du palais présidentiel. Dans le mois janvier, plusieurs mutineries corporatistes ont été menées dans les villes d’Abidjan, de Bouaké et ailleurs.
Le mardi 7 février, dans la ville d’Adiaké, les Forces spéciales se sont également mutinées. Depuis le début de l’année 2017, une série d’attaques armées a ciblé des postes de police et de gendarmerie dans les localités de Bingerville, Cocody, Azaguié, Fresco, N’Dotré, Adzopé et Songon. Et depuis le 6 août 2017, des évasions de prisonniers sont survenues dans les maisons d’arrêt et de correction de Gagnoa, Aboisso et Katiola ainsi qu’au Palais de Justice d’Abidjan-Plateau. Ajouté à cela le phénomène des enfants en conflits avec la loi « Microbes », un élément d’analyse de la situation sécuritaire de la Côte d’Ivoire.
- Les défis sécuritaires et les réformes institutionnelles
Les exigences de la RSS
Il n’existe donc pas de modèle unique de RSS applicable partout.
La RSS nécessite que l’État dispose au moins de quelques institutions, dont la légitimité n’est pas contestée et sur lesquelles le processus pourra s’appuyer. Ainsi, la RSS doit impérativement répondre à l’ensemble des besoins sécuritaires des différents groupes sociaux. Dans cet esprit, les femmes doivent être invitées à participer activement aux prises de décisions à tous les niveaux du processus.
Ce processus concerne les acteurs intervenant dans le domaine de la sécurité (police, gendarmerie, forces armées, services de renseignement civil et militaire, service des douanes…) ; les institutions judiciaires et organismes garants de la loi et chargés de son application (tribunaux, parquets, avocats, barreaux, ministère de la Justice, administration pénitentiaire, médiateurs, commissions de défense des droits de l’Homme, représentants coutumiers…) ; et, au titre du contrôle démocratique, les instances de contrôle (Parlement, y compris commissions des finances, de la défense et d’enquêtes parlementaires) ; les organes de gestion et de surveillance du respect de la déontologie par les acteurs de la sécurité (Chef de l’État, ministères de la Défense et de l’Intérieur, organismes en charge de la gestion financière, services d’inspection, autorités indépendantes ; les instances d’information et d’influence auprès de l’opinion publique (médias, organismes de la société civile).
La mise en place d’un processus de RSS nécessite une adaptation des modalités de la coopération en matière de sécurité. Elle implique le dépassement de l’approche sectorielle (armée, police, justice) des questions de réforme de sécurité. La meilleure formule est de collaborer avec les États et organisations, qui contribuent à une meilleure prise en compte des réalités locales.
En Côte d’Ivoire, l’appui de la France, des USA, de l’Union Européenne et de l’ONU en sont des preuves. Enfin, tout processus de RSS doit tenir compte de l’environnement sécuritaire du pays concerné. Dans certains pays en sortie de crise, le processus de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) est lancé conjointement avec la RSS. C’est ainsi, qu’en 2012, la RSS et le DDR ont été lancés ensemble en Côte d’Ivoire. Étant donné qu’un processus de RSS doit tenir compte des efforts entrepris pour lutter contre les trafics illicites, en Côte d’Ivoire, la Commission Nationale de lutte contre la Prolifération et la Circulation illicite des Armes Légères et de Petit Calibre.
L’État dispose au moins de quelques institutions, dont la légitimité n’est pas contestée et sur lesquelles le processus pourra s’appuyer
- Les points saillants de la RSS
Le Conseil National de Sécurité
La création d’institutions adéquates en vue de la mise en œuvre de la RSS constitue le préalable. Un groupe de travail sur la RSS est mis en place par le président ivoirien le 6 avril 2012 prenant en compte un séminaire RSS/DDR qui s’est tenu en septembre 2011. Ce séminaire a été le lieu d’un consensus sur le besoin de lancer une RSS et de repenser le DDR. Puis, le 8 août 2012 le décret n° 2012-786 établit un Conseil National de Sécurité (décret n° 96 PR du 25 juillet 1996 avait déjà créé un CNS) dirigé par le président de la république.
Sur le terrain et en application de la décision du CNS de démanteler tous les réseaux de détention illégale d’armes, le mardi 26 septembre 2017, le Centre des Opérations de l’État-major général des armées de Côte d’Ivoire a saisi dans la commune d’Attecoubé à Abidjan des équipements appartenant à un groupe dénommé Groupement Guerriers pour la Dignité et la Justice en Côte d’Ivoire.
Adaptation des modalités de la coopération en matière de sécurité
Genre et Sécurité Humaine
Les réformes du secteur de la sécurité s’inscrivent à l’origine dans une conception qui intègre la sécurité des populations et non des seuls États. Une des réformes à mettre en œuvre porte aussi sur le genre : « développer une politique énergique de promotion du genre basée sur la participation et la responsabilisation effectives du personnel féminin au sein des institutions chargées de la sécurité et de la défense ». Pour la police ou les armées ivoiriennes, qui ont déjà des recrues féminines, cela ne pose pas un réel problème. La police est la force la plus féminisée, avec 12 % de femmes, contre 1 % pour les FACI, et 2 % pour les agents des eaux et forêts. Par contre, la gendarmerie n’était pas encore ouverte aux femmes. Le CNS autorise finalement le recrutement de la gendarmerie aux femmes.
- Les enjeux de la RSS et le processus de consolidation de la paix
Selon les circonstances, les mesures mises en œuvre peuvent être notamment de désarmer les adversaires, rétablir l’ordre, de recueillir les armes et éventuellement de les détruire, de rapatrier les réfugiés, de fournir un appui consultatif et une formation au personnel de sécurité, de surveiller des élections, de soutenir les efforts de protection des droits de l’homme, de reformer ou de renforcer les institutions gouvernementales et de consolider le processus démocratique en général.
Les autorités ivoiriennes et l’ensemble des ivoiriens auront compris que la stabilité politique et le développement économique de tout pays passent par un système de sécurité efficace et légitime aux yeux de la population. La volonté politique, les actions de démantèlement des réseaux de détention illégale d’équipements militaires, le développement humain, la lutte contre la corruption et la mise en œuvre de la stratégie nationale de sécurité en général visent à rétablir ou à renforcer cette efficacité et cette légitimité.
La RSS d’un pays est essentielle après un conflit. Il est en effet indispensable, en pareilles situations, de redonner aux populations le sentiment de pouvoir vivre sans crainte dans la sécurité et de rétablir un climat de confiance entre l’État et les citoyens, faute de quoi une paix et un développement durables seront impossibles. Dans d’autres contextes, la RSS peut même empêcher qu’un conflit ou une crise n’éclate ou ne reprenne.
Le CNS autorise finalement le recrutement de la gendarmerie aux femmes
Il convient de mentionner que des avancées et perspectives permettent d’affirmer que le train de la consolidation de la paix est en marche en Côte d’Ivoire. Il s’agit entre autres, de la mise en œuvre de la stratégie nationale avec une affirmation du lien RSS-DDR et des objectifs à court, moyen et long terme ; du renforcement des capacités des forces de l’ordre au concept du genre, des droits humains ; de l’expérimentation de la police de proximité ; de la participation de la société civile à la RSS ; de la promotion du genre dans tous les corps de l’armée ivoirienne ; de la nouvelle loi sur le port d’arme et les sociétés de gardiennage et du rétablissement des chaînes de commandement. Cependant, à bien des égards, le phénomène des enfants microbes, les mutineries intempestives et consort constituent parfois des éléments de négation des avancées de la RSS en Côte d’Ivoire.
- La sécurité de l’état et des institutions
La souveraineté territoriale et la sécurité nationale
La sécurité de l’État en tant qu’une institution réside dans sa capacité à garantir la protection des individus l’incarnant, des textes des lois, et à créer un environnement favorable lui permettant de garantir le respect des droits et devoirs des citoyens et des populations étrangères résidant sur son territoire. Ces conditions garantissent la paix et permettent de créer un environnement favorable à son développement.
Système de sécurité efficace et légitime aux yeux de la population
Le réel défi consiste donc à rétablir l’État comme institution suprême et ensuite réaffirmer sa légitimité par le respect de ses obligations et celui des droits et devoirs de la personne humaine. Cette souveraineté nationale post-crise doit être rétablie puisqu’elle n’est pas un acquis. Cette dernière a une dimension économique. Elle réside dans la capacité de l’État à imposer et à appréhender une régulation de l’économie de la guerre ayant permis l’ascension sociale d’une minorité d’acteurs civils ou militaires qui voient dans la longévité de la guerre une structure d’opportunité économique et politique. Ainsi, le réel défi en ce qui concerne la souveraineté économique consiste à transformer les acteurs de l’économie de guerre en acteurs d’une économie de la paix durable à travers une politique de développement humain durable par la production d’acteurs proactifs, et cette capacité d’être, au sens d’Amartya Sen.
Les impacts de l’accès à une justice impartiale sur la RSS
Selon le rapport des Organisations de la Société Civile (OSC), l’impunité continue de gangrener la société ivoirienne. Elle se manifeste par l’injustice à l’encontre les victimes de la crise post-électorale. Selon le rapport : « Il … convient de souligner que les premiers actes posés sont encourageants, et à même de rétablir la confiance de la population ivoirienne en la justice, force est de constater que, faute de réelle volonté politique de lutter contre l’impunité de tous les crimes perpétrés, le processus en cours ressemble à ce jour à une justice des vainqueurs, peu enclin à comporter toutes les garanties de non répétition des crimes inhérente à tout processus de justice, ainsi qu’à garantir à toutes les victimes ivoiriennes le respect de leur droit à la justice, à la vérité et à réparation ».
Le rapport des OSC ivoiriennes sur la situation sur le système judiciaire ivoirien indique la nécessité d’une réforme à l’instar des autres secteurs. En effet, dans le système judiciaire ivoirien, il y a une insuffisance de tribunaux et de magistrats, le constat d’une justice des vainqueurs est fait par l’ensemble des OSC. Le système judiciaire en Côte d’Ivoire, à savoir les secteurs de la justice et du système carcéral, est partie intégrante du système de sécurité et doit faire l’objet d’une attention particulière dans le cadre la RSS.
Le réel défi consiste donc à rétablir l’État comme institution suprême et ensuite réaffirmer sa légitimité par le respect de ses obligations et celui des droits et devoirs de la personne humaine
En effet, la réforme du système judiciaire doit remplir trois (3) conditions essentielles : rendre la justice accessible à tous, rendre la justice plus impartiale et rendre la justice plus efficace. D’abord, au niveau de l’accessibilité de la justice ivoirienne à tous, il faut noter que de nombreuses barrières empêchent encore la majeure partie des ivoiriens d’accéder à la justice. Il s’agit notamment des frais de procédure qui ne sont pas à la portée de tous, l’absence de tribunaux dans une majeure partie des villes, le manque de magistrats et agents des services judiciaires. Ensuite, il conviendrait de rendre la justice ivoirienne beaucoup plus impartiale en vue de renforcer sa crédibilité aux yeux des justiciables.
Pour ce faire, il faudrait donc une véritable séparation des pouvoirs (exécutif, judiciaire et législatif). En outre, il faudrait renforcer l’inamovibilité des magistrats. Enfin, pour rendre la justice plus efficace, elle a besoin de moyens humains, matériels et financiers. En ce sens, il faudrait construire plusieurs palais de justice et les équiper ; recruter plus de magistrats tout en améliorant leur condition de travail et de sécurité. Par ailleurs, il faudra améliorer les conditions de travail et de vie des gardes pénitenciers en vue de leur permettre de mieux remplir leurs fonctions.
Les conditions de détention des prisonniers méritent aussi d’être améliorées en vue permettre aux détenus de se former à des métiers aux fins d’une réinsertion dans la société. La décision du Gouvernement de combler le déficit de juridictions et d’établissements pénitentiaires et de faciliter l’accès équitable aux services judiciaires pour tous les citoyens, par la construction de plusieurs juridictions et établissements pénitentiaires supplémentaires est salutaire. La justice étant le pilier central de l’État de droit, son effectivité dans une société sortie de conflit nécessite une réforme du secteur et un renforcement des institutions juridiques.
Dans le système judiciaire ivoirien, il y a une insuffisance de tribunaux et de magistrats, le constat d’une justice des vainqueurs est fait par l’ensemble des OSC
- Conclusion
L’épineux problème de l’insécurité n’est toujours pas résolu. La RSS ivoirienne tend à se distinguer de plus en plus par la prise en compte du concept de genre avec la promotion du genre dans tous les corps de l’armée ivoirienne et de celui de sécurité humaine qui englobe les droits de l’homme, la bonne gouvernance, le contrôle démocratique, l’accès à l’éducation pour tous, le droit à la santé, l’amélioration du cadre de vie des citoyens ainsi que la possibilité pour chaque individu de faire des choix et de saisir les opportunités qui lui permettront de réaliser son potentiel.
Un engagement renouvelé de la part des autorités et de l’ensemble des ivoiriens, des changements institutionnels importants pourraient contribuer à rendre effectives les reformes en cours. La consolidation de la paix passe nécessairement par ces réformes. Jusqu’à maintenant, avec insistance nous l’affirmons, les problèmes de l’insécurité ne sont toujours pas résolus à Abidjan. Chaque ivoirien et chaque habitant de la Côte d’Ivoire devrait se mettre en cause ; assumer sa part de responsabilité ; le courage de porter un regard critique sur les actions du gouvernement en rapport avec le processus de RSS. Nous sommes persuadés que le rayonnement de la RSS en Côte d’Ivoire en dépend.
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1 Commentaire. En écrire un nouveau
merci pour cette réflexion, la compréhension est assez digeste.
au regard de celle-ci, nous nous demandons s’il y a déjà existé un suivi-évaluation de la RSS pour apprécier son impact sur l’environnement sécuritaire de l’Etat et des populations?