Auteur (s): Cédric Poitevin
Organisation affiliée: Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)
Type de publication: Note d’analyse
Date de publication: 29 mars 2016
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INTRODUCTION
En matière de commerce des armes, une idée reçue assez répandue veut que les États d’Afrique subsaharienne soient uniquement des importateurs. Ces importations seraient dans leur ensemble insignifiantes en comparaison des autres régions du monde et, faute de moyens, elles concerneraient presque exclusivement des armes légères et de petit calibre (ALPC) ainsi que leurs munitions. Corolaire de cela, les États de la région, acteurs mineurs du commerce international d’armements, subiraient ce commerce et ses potentielles conséquences néfastes, plus qu’ils n’y participeraient activement.
Dès lors, ceux-ci auraient tout à gagner à l’existence de normes internationales communes visant à réguler strictement le commerce des armes, normes qu’il reviendrait surtout aux pays exportateurs à appliquer et mettre en œuvre. Cette vision des choses a souvent été avancée par des représentants gouvernementaux ou non, africains ou non, pour expliquer la position volontariste et relativement progressiste des États d’Afrique subsaharienne durant les négociations pour l’adoption du Traité international sur le commerce des armes (TCA).
l’Afrique subsaharienne continuerait d’être une place mineure du commerce international d’armements et cette marginalisation tendrait à perdurer.
Ces gouvernements ont en effet joué un rôle notable afin que le traité dispose d’un champ d’application le plus large possible, intègre des éléments spécifiques liés aux conséquences néfastes du commerce international des armes ou encore contienne des dispositions claires relatives à la transparence. Cette Note d’analyse entend démonter cette idée reçue ou, en tout cas, la nuancer.
Bien qu’elle repose sur de nombreux éléments avérés, celle-ci en présente une vision simplifiée, voire simpliste, qui, d’une part, entretient l’idée que le monde serait divisé entre les « exportateurs » (qui sont les réels acteurs du commerce des armes) et les « importateurs » (qui sont en quelque sorte les have not, ceux qui subissent ce commerce) et qui, d’autre part, tend à minimiser le rôle actuel de l’Afrique subsaharienne dans ces dynamiques. Sur la base des informations disponibles publiquement, il est possible aujourd’hui de présenter un tableau plus fourni et plus subtil de la situation.
QUELLES SONT LES TENDANCES GÉNÉRALES ?
De manière générale, selon les données compilées par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), sur les cinq dernières années (2011-2015), le volume des importations d’armements conventionnels majeurs du continent africain dans son ensemble a représenté 10,4% du total mondial (soit une hausse de 17,9% par rapport à la période précédente 2006-2010)8 .
Ces chiffres donnent cependant une vue biaisée du poids du continent sur la scène mondiale : ils doivent en effet beaucoup aux achats importants réalisés par les pays d’Afrique du Nord, qui sont responsables de plus de deux tiers des importations pour l’ensemble du continent (68,8%). Si l’on retranche ces cinq États(Algérie, Égypte, Libye, Maroc et Tunisie), la part de l’Afrique subsaharienne descend à seulement 3,2% du total mondial en 2011-2015 (soit une légère stagnation par rapport aux 3,8% des cinq années précédentes). À lire ces chiffres, l’Afrique subsaharienne continuerait d’être une place mineure du commerce international d’armements et cette marginalisation tendrait à perdurer.
Il est indispensable de souligner que les chiffres présentés ici ne concernent que les armements conventionnels majeurs tels que définis par le SIPRI, à savoir, les dix catégories suivantes : aéronefs, systèmes de défense anti-aérienne et sous-marine, véhicules blindés, artillerie, systèmesradar, missiles, navires, moteurs, satellites et autres. D’autres types d’équipements et de services (par exemple, les transferts de technologies ou de services, les véhicules de transport ainsi que les armes légères et de petit calibre, les pièces d’artilleries d’un calibre inférieur à 100mm et les munitions) sont exclus des statistiques du SIPRI.
Une des raisons de cette omission est notamment le déficit de transparence encore plus grand en ce qui concerne ces équipements (notamment, les ALPC et leurs munitions). Faute de données officielles communiquées par de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ainsi que leurs fournisseurs (voir section III), il est impossible de pouvoir évaluer la prévalence des ALPC et des munitions dans les importations des pays de la sous-région.
Qui sont les principaux importateurs d’Afrique subsaharienne ?
Pour la période 2011-2015, 40 des 49 États d’Afrique subsaharienne ont procédé à des importations d’armements conventionnels majeurs ; cependant, les acquisitions réalisées par les dix premiers d’entre eux équivalent à près des neuf dixièmes du total sous-continental (soit 87,7%). Preuve de la tendance générale à la hausse, à l’exception de l’Afrique du Sud et du Tchad, l’ensemble des pays du top 10 a connu une hausse plus ou moins accentuée des acquisitions, un grand nombre d’entre eux doublant au minimum la valeur financière de leurs importations par rapport à la période précédente. Deux pays qui étaient dans le top 10 lors de la période précédente en sont sortis malgré une hausse de leurs importations :
De manière surprenante, les États du Sahel et environnants (et significativement, parmi ceux-ci, les pays francophones), qui sont depuis quelques années impliqués dans des conflits armés et/ou durement touchés par les activités de groupes terroristes, restent à la traîne par rapport aux pays de la façade est du continent. Leurs importations n’ont pas augmenté de façon spectaculaire pour répondre aux défis auxquels ils font face maintenant.
Le plus dépensier d’entre eux a été le Cameroun dont les importations ont augmenté principalement du fait des livraisons depuis la Chine de matériel terrestre, maritime et aérien : notamment, douze chasseurs de chars WMA-301, quatre hélicoptères Z-9 et deux bateaux patrouilleurs. À titre d’exemple, les importations du Mali, dans la tourmente du terrorisme et de la guerre civile depuis 2012, n’équivalent qu’à 0,3% du total d’Afrique subsaharienne et concernent six avions d’attaque au sol brésiliens Embraer 314 Super Tucano (commandés en 2015) ainsi que dix-neuf véhicules de transport de troupes ukrainiens de modèle BTR-60PB et BTR-70 (livrés en 2012).
Il est impossible de pouvoir évaluer la prévalence des ALPC et des munitions dans les importations des pays de la sous-région
Qui sont les principaux fournisseurs du sous-continent ? Lors de la période 2011-2015, 33 pays ont exporté des armements conventionnels majeurs vers l’Afrique subsaharienne ; cependant, les transferts réalisés par les dix premiers d’entre eux engloutissent la quasi-totalité de la valeur financière globale des exportations vers le sous-continent (soit 98,2%). Le trio de tête des fournisseurs du sous-continent (Russie, Chine et Ukraine) reste le même que lors des deux périodes de référence précédentes (2001-2005 et 2006-2010) bien que l’ordre ait changé.
Tous trois connaissent une hausse très importante de leurs livraisons ; c’est surtout le cas de la Russie qui avait connu un creux de ses exportations vers la région en 2006-2010 et qui retrouve des niveaux relativement comparables à la période 2001-2005. Ces trois pays équivalent ensemble à plus de deux tiers des exportations vers l’Afrique subsaharienne (soit 67,3%) et connaissent une hausse de 98,7% de leurs fournitures d’armements.
De manière générale, sept des pays du top 10 connaissent une hausse nette de leurs exportations ; c’est notamment le cas de Washington et de Paris qui, ces dernières années, ont considérablement augmenté leurs fournitures de matériels (souvent dans le cadre de programmes d’assistance dans le cas des États-Unis) ainsi que le nombre de pays clients dans la région.
La place toujours importante du matériel de seconde main
Une grande partie des importations des pays du sous-continent concerne des équipements de seconde main. Il s’agit surtout de matériel revendus par des pays de l’ex URSS vraisemblablement principalement depuis leurs stocks étatiques. C’est notamment le cas de l’Ukraine et de la Biélorussie qui sont particulièrement actifs sur ce créneau (tout le matériel vendu par la Biélorussie à son seul client africain, le Soudan, est de seconde main tandis que l’écrasante majorité de l’équipement vendu par l’Ukraine à ses quatorze clients subsahariens l’est également). La Russie vend quant à elle principalement du matériel de première main et recourt moins fréquemment aux ventes de seconde main (notamment, pour les exportations d’hélicoptères de combat).
Dans certains cas, ces matériels sont parfois modernisés avant d’exporter, le plus souvent dans le pays d’origine (Ukraine, Russie, Biélorussie, France, notamment) ou, plus rarement, dans un pays tiers(c’est le cas de certains systèmes d’armes ukrainiens qui sont modernisés en Bulgarie).
Les importations du Mali, dans la tourmente du terrorisme et de la guerre civile depuis 2012, n’équivalent qu’à 0,3% du total d’Afrique subsaharienne
AU-DELÀ DES IMPORTATIONS : TRANSIT, RÉEXPORTATIONS ET EXPORTATIONS
Au-delà du constat « Afrique subsaharienne, terre d’importation », que peut-on dire des transferts internationaux dans cette région du monde ? La géographie particulière à certains États, notamment ceux qui possèdent une façade maritime, leur confère un statut de point de transit vers d’autres pays africains plus enclavés, tandis qu’une minorité d’autres, qui ont réussi à développer une industrie de défense locale (Afrique du Sud notamment), figurent parmi les exportateurs d’armements conventionnels à destination du continent africain.
Transit maritime et aérien
Aspect moins connu et médiatisé du commerce international d’armements, de nombreux pays du continent, parce qu’ils occupent une place géographique clé, servent de point de transit (et souvent de transbordement) dans le cadre de transactions internationales (le plus souvent à destination du continent africain). Les informations à ce sujet sont généralement rares et éparses, notamment en raison d’un manque aigu de transparence tant de la part des pays exportateurs que des pays importateurs sur leurs transferts, et significativement sur les opérations de transit (voir section suivante).
C’est donc le plus souvent à l’occasion d’incidents rendus publics qu’un coin du voile peut être levé sur le rôle des pays de transit. Plusieurs pays côtiers disposent d’infrastructures portuaires et terrestres suffisantes pour accueillir et faire transiter du matériel généralement à destination de pays enclavés du sous-continent : c’est entre autres le cas de l’Afrique du Sud (vers les autres pays d’Afrique australe comme le Zimbabwe), du Cameroun (vers la République centrafricaine et le Tchad), de la Côte d’Ivoire (vers les pays enclavés d’Afrique de l’Ouest), de Djibouti, du Kenya (vers le Soudan du Sud notamment), du Nigeria (vers les pays d’Afrique de l’Ouest sans accès à la mer) et du Sénégal (notamment vers le Mali).
Dans certains cas, c’est la place géographique d’un pays à proximité d’une zone de conflit ou de tension qui peut en faire une place de transit plus ou moins durable : c’est ainsi le cas du Gabon qui, malgré des capacités portuaires limitées, a été point de transit de matériel destiné à la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO).
Exportations et réexportations
La base de données du SIPRI ne recense que trois pays du sous-continent qui ont procédé à des exportations, ou des réexportations, d’armements conventionnels majeurs durant la période 2011-2015 : l’Afrique du Sud, le Botswana et le Soudan. L’ensemble de leurs exportations équivaut à 0,3% du total mondial : soit en valeur absolue une chute de 40 par rapport à la période précédente où elles représentaient 0,8%. Celle-ci est exclusivement due à la chute des exportations sud-africaines (moins 43,3% par rapport à 2006-2010).
En effet, Pretoria est responsable de plus de 95% des exportations depuis le continent africain contre 2,4% pour le Soudan (transfert de trois hélicoptères en leasing à la Libye en 2013) et 1,7% pour le Botswana (vente de deux avions de transport CN-235 de seconde main en 2012 et 2013 respectivement à la République du Congo et au Togo, le premier ayant été modernisé en Afrique du Sud et le second vendu via une société sud-africaine).
Quels contrôles des transferts au niveau national ?
Si peu d’informations sont disponibles sur les transferts menés par les pays d’Afrique subsaharienne, il existe peut-être encore moins de données concernant la manière dont ces États contrôlent au niveau national ces transferts, selon quelles procédures et par quel arrangement institutionnel. L’Afrique du Sud représente à nouveau l’exception au niveau continental : elle a en 1994 mis en place une structure chargée de contrôler les transferts et de mettre en œuvre la politique nationale en matière de contrôle des transferts d’armements, le National Conventional Arms Control Committee (NCACC).
Celui-ci présente chaque année un rapport annuel au parlement et au public sur les exportations du pays. Des études menées récemment par le GRIP sur les systèmes nationaux de contrôle des transferts en Afrique occidentale et centrale (principalement dans les pays francophones) ont montré que, bien que ceux-ci existent d’une manière ou d’une autre dans presque chaque pays, leur fonctionnement repose généralement sur des pratiques consolidées beaucoup plus que sur un cadre légal défini.
Spécifiquement, en ce qui concerne les régimes de contrôle et le processus de décision, l’étude révèle qu’à l’exception du Burkina Faso, le mode opératoire en matière de contrôle des transferts se base moins sur des réglementations et décrets que sur des pratiques consolidées au fil du temps. Dans la plupart des pays, il n’existe pas de preuve de l’existence d’un système d’évaluation des risques posés par un transfert (qu’il s’agisse d’une importation, d’un transit ou d’une exportation) et parfois, rien n’indique que des documents comme les licences ou autorisations d’importation ou les certificats d’utilisateur final (CUF) existent ou sont utilisés de manière systématique.
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