Auteur(s) : Valentin Schmite
Type de publication : article
Date de publication : 5 Avril 2014
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Il y a 20 ans, le génocide rwandais faisait plus de 800.000 victimes. Aujourd’hui, le pays est un véritable modèle en termes d’assurance maladie. Dans un contexte où, le système de santé est un problème pour de nombreux pays développés (rappelons-nous l’épopée américaine de l’Obama Care, ou même l’état de notre sécurité sociale à la française), allons voir comment ce que l’on appelle déjà le «miracle rwandais» fonctionne.
Depuis 1994, le modèle économique rwandais s’est considérablement développé. Aujourd’hui qualifié de Sillicon Valley africaine, le pays a défini en 2010 un plan de prospective visant à transformer son modèle de développement, passant de l’agriculture aux services, des bas revenus à l’émergence d’une classe moyenne. Pour ce faire, le gouvernement de Paul Kagame a mis en place un système novateur en termes de santé, composante fondamentale de ce renouveau.
En effet, si le développement d’un pays passe, en partie, par les investissements, la recherche et la croissance globale de la richesse nationale, il est nécessaire de mettre en place un système de santé efficace pour compléter ce développement. Aligné sur de nombreux critères internationaux (OCDE, ONU, etc), ce système permet de couvrir une grande partie de la population, de manière efficace grâce à une décentralisation totale des services de soins.
Quelques chiffres permettent de montrer l’ampleur de ce mouvement. L’espérance de vie est passée en quelques années de 45 ans à 63 ans; le pourcentage d’accouchements au sein d’infrastructures médicalisées a été doublé, la mortalité maternelle a chuté de 40%, et l’immunisation des enfants est maintenant presque complète; le recours à la contraception a triplé en 10 ans. Pour un pays qui, encore en 2012, était le 17e pays le plus pauvre en termes de PIB par habitant[1], cela tient presque du miracle.
Vers une couverture universelle
98% des Rwandais bénéficient d’une assurance maladie publique, un taux bien plus élevé qu’aux États-Unis. Comment, dans une région où, le plus souvent, seuls les employés de l’État sont couverts, peut-on parvenir à une telle couverture? Le système rwandais est en fait divisé en trois catégories. La première couvre les employés de l’Etat et les agents du gouvernement (il s’agit respectivement de la Rwandaise d’Assurance maladie et de la MMI), elle fonctionne, de façon classique, comme une assurance maladie publique. La seconde est fondée sur des assurances privées et concerne les employés du secteur formel, qui ne travaillent pas pour l’État. Enfin la CBHI cible le secteur informel c’est-à-dire 95% de la population et permet de couvrir, au niveau local, la très grande majorité des Rwandais.
C’est ce dernier service qui est véritablement révolutionnaire. Mis en place en 2005, il permet d’organiser le territoire en fonction d’une délimitation de districts et des secteurs précis. Chaque centre de santé du pays doit obligatoirement comporter une section de la CBHI, et dans chaque village, la population vote pour des représentants en charge d’administrer ces CBHI en lien avec le personnel du ministère de la Santé.
Ces centres ne sont pas bien sûr tous des hôpitaux, mais aussi des dispensaires et des pharmacies pouvant procurer les premiers secours en cas de nécessité, et informer la population. Le maillage territorial est bien la source d’une telle efficacité, car il permet de couvrir l’intégralité du territoire en incluant les personnes travaillant dans l’économie informelle.
Pourtant, n’est pas miraculeux qui veut. En effet, l’expansion rapide des CBHI a mis en danger la pérennité du modèle. Le système n’arrivait plus à couvrir les populations les plus pauvres, les centres médicalisés pliaient sous le poids d’importantes dettes.
La population vote pour des représentants en charge d’administrer ces CBHI en lien avec le personnel du ministère de la Santé
Mais c’était sans compter sur la capacité d’adaptation de l’État rwandais. Dès 2011, une batterie de réformes a été mise en place pour rendre le système soutenable. Au lieu de devoir cotiser 1,5 dollar pour pouvoir être pris en charge, le nouveau système de santé prévoit l’introduction d’une progressivité, afin de permettre une plus grande justice sociale. De plus, les représentants en charge de la gestion des CBHI se sont vus imposer des formations pour mieux gérer les ressources des centres et éviter la corruption.
Mais, loin de s’arrêter à la pérennisation du système, le gouvernement rwandais s’est attelé à son efficacité. En mettant en œuvre un système managérial d’allocation de subventions à la performance réalisée, l’Etat a permis une amélioration significative des soins prénataux et pédiatriques. Toutefois, la volonté étatique ne s’arrête pas simplement à la sphère «incitative». Depuis 2006, chaque fonctionnaire signe un contrat fixant des objectifs précis, qui, s’ils ne sont pas atteints, permet de le renvoyer. Ainsi, on passe de l’incitatif à l’impératif, pour atteindre ces objectifs de santé. Il ne faut pas oublier qu’en termes de démocratie, le Rwanda était encore le 134e pays dans le monde, selon le classement dressé par The Economist.
Un modèle soutenable?
Le miracle a donc ses limites. Mais si elles ne tenaient qu’au traitement des fonctionnaires, le système aurait pu se réformer, ou tout du moins se corriger à la marge. Il faut cependant creuser plus en profondeur pour comprendre pourquoi, derrière l’apparente merveille, le système risque de s’écrouler comme un château de carte.
Le problème n’est plus simplement politique, mais aussi économique. Selon une étude du Tropical Medicine & International Health, sur les 307 milliards de dollars dépensé chaque année pour maintenir à flot ce système, plus de la moitié est financée par des donateurs étrangers, que ce soit des ONG comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou bien des États, comme les États-Unis.
Léo Roesch, Paul Brandily et Léo Czajka, trois économistes à la Paris School of Economics s’interrogent sur cette situation. Ils rappellent que les dépenses globales de santé sont passées de 6,2% du PIB en 2004 à 10,8% en 2011. Si l’on associe cette hausse des dépenses avec une forte dépendance aux financements extérieurs, on aboutit non seulement à une non-indépendance financière, mais aussi au risque d’un fort déficit, dans le cas d’un retrait soudain des financements.
Or, ce retrait n’est pas inimaginable, compte-tenu de la situation géopolitique du Rwanda. En effet, les récentes affaires de soutien des rebelles en République démocratique du Congo, ainsi que le meurtre de dissidents en exil conduisent Washington à se désolidariser de Kigali. Selon Jen Psaki, une des porte-paroles du département d’État, les États-Unis sont «préoccupés par la succession de ce qui semble être des meurtres à mobiles politiques d’exilés rwandais influents». Ces récentes évolutions géopolitiques pourraient bien mettre en difficulté un système de santé fortement dépendant.
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