

Auteurs : Martial Dembélé, Geneviève Sirois, Ibrahim Abdourhaman, François Joseph Azoh, Mathias Kyélem, Ibrahima Sakho et Mourad Bacha
Site de publication : Openedition Journals
Type de publication : Article
Date de publication : Décembre 2023
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Burkina Faso
La régionalisation du recrutement des enseignants, décidée en 2003, visait une dotation équitable des régions en enseignants. Les candidats au concours d’entrée dans les écoles nationales des enseignants du primaire (Enep) doivent désormais postuler en choisissant une région d’affectation à l’issue de la formation et y servir pendant un minimum de six ans. L’un des effets de cette politique de régionalisation est que le degré d’aléa dans le processus d’allocation des enseignants passe de 32 % en 1995 à 22 % en 2006. Toutefois, les conséquences sociales et l’impact sur la qualité de vie des familles des enseignants ainsi que la pression syndicale amènent des aménagements progressifs qui réduisent sensiblement la portée du dispositif de régionalisation. Cela aboutit à la prise de l’arrêté no 2012-046/MENA/SG/DRH du 3 août 2012 portant conditions et modalités d’affectation des enseignants du primaire recrutés pour le compte des régions, qui remet en cause la réglementation initiale de la régionalisation.
L’attractivité et le maintien des enseignants dans la profession
Au Burkina Faso, la question de l’attrait ou du maintien dans la profession enseignante est davantage liée à la faiblesse des offres d’emploi publiques qu’à l’attractivité intrinsèque de la profession. Le secteur de l’éducation offre le plus grand nombre d’emplois dans un contexte général de chômage des jeunes de plus en plus important. Le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans est en effet passé de 4,3 % à 7,7 % entre 2000 et 2021 (Zamo Akono et al., 2022). Selon le 5e recensement général de la population et de l’habitation publié en 2022, 7,1 % des jeunes sont au chômage. Au regard de la dissémination des écoles jusqu’aux petits villages, l’environnement général du pays est pour une large part responsable des représentations que les enseignants ont de leur profession. Sur la base des éléments de salaire et notamment des indemnités spécifiques, ils ont des rémunérations globalement plus élevées que celles des autres travailleurs de même catégorie. Mais compte tenu de leurs contraintes spécifiques et de la masse de travail à réaliser hors classe, les enseignants ont une représentation négative de leur traitement ; et celle-ci est amplifiée par le fait que les possibilités de compléments de salaire sont limitées.
Cameroun
En 2007, le gouvernement instaure, avec l’appui de partenaires techniques et financiers internationaux, la contractualisation des instituteurs. Cette décision intervient dans un contexte d’émergence des instituteurs vacataires (Ivac), sous-rémunérés par rapport aux fonctionnaires. Trois programmes sont alors mis en œuvre pour réduire le déficit en personnel enseignant, diminuer les aléas en matière d’allocation des enseignants dans les écoles, tout en assurant des salaires acceptables et une soutenabilité financière à l’opération. Le premier programme a atteint l’objectif d’absorption de la catégorie précaire des Ivac ; le deuxième a tenté une régionalisation du recrutement qui n’a pas fonctionné ; le troisième recruté par poste de travail. Plus de 55 000 instituteurs sont déjà contractualisés, auxquels s’ajoutent 3 000 contractuels recrutés par une opération spéciale en 2011.
Effets des programmes de contractualisation sur l’attractivité de la profession enseignante
Les programmes de contractualisation, bien qu’ayant réussi à supprimer la sous-catégorie précaire des Ivac, ne sont pas parvenus à faire du statut de l’enseignant contractuel une situation enviable. Le désintérêt pour les concours d’entrée aux Enieg, portes d’entrée de la profession, est l’un des effets induits. Au sein du corps enseignant, certains comportements des contractuels trahissent des formes déguisées d’attrition : absentéisme, sous-traitance et non-respect des termes du contrat, notamment de l’engagement à demeurer au même poste pendant des périodes déterminées.
Un autre indicateur se manifeste par la détermination de certains instituteurs à sortir de leur sous-catégorie par des stratégies d’universitarisation, comme l’obtention de diplômes académiques et professionnels. Ces diplômes leur permettent d’accéder à d’autres secteurs ou d’autres niveaux de la fonction publique.
Côte d’Ivoire
Le système de formation initiale des enseignants du primaire
La formation des instituteurs débute en Côte d’Ivoire en 1966 dans des centres d’animation et de formation pédagogique (Cafop), formant les AI recrutés par voie de concours au niveau du brevet d’études du premier cycle (BEPC). La formation dure une année et est sanctionnée par le certificat élémentaire d’aptitude pédagogique (CEAP). En 1969, est créée l’École normale d’instituteurs (ENI), dont la mission est de former des instituteurs ordinaires en trois années. L’admission se fait sur concours ouvert aux instituteurs adjoints titulaires du CEAP. En 1983, est créé le Cafop supérieur, qui accueille les titulaires du baccalauréat, pour une formation de deux années, sanctionnée par le certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Cette structure de formation a coexisté avec le Cafop jusqu’en 1993. La dénomination « Cafop supérieur » est alors supprimée au profit de « Cafop » seulement. La formation s’étend désormais sur trois années (deux de formation théorique et une de formation pratique) et est sanctionnée par le CEAP. Les estimations du plan sectoriel éducation-formation 2016-2025 prévoient le recrutement de 6 600 enseignants du primaire par an. Depuis 2016, le ministère de la fonction publique met à la disposition du MEN entre 5 000 et 7 000 postes. Un recrutement additionnel a été réalisé en 2019, avec 5 300 enseignants contractuels pour le cycle préscolaire et primaire, dans le contexte du programme social du gouvernement. Pour cette situation d’exception et d’autres auparavant, les recrues ont bénéficié d’une formation accélérée d’un mois seulement, dispensée par la direction de la pédagogie et de la formation continue du MEN.
Sénégal
Attractivité de l’enseignement élémentaire
L’attractivité du métier d’enseignant est à mettre en rapport avec la perception que les populations en ont, mais également avec l’idée qu’elles se font du « bien-être » et la valeur qu’elles reconnaissent à une personne qui exerce ce métier. Selon les données collectées par questionnaire, les déterminants de l’attractivité de l’enseignement élémentaire au Sénégal sont l’accessibilité à la fonction (59 %), la sécurité d’emploi (19 %), la possibilité de promotion (14 %) et la durée des vacances scolaires (8 %).
Une fois dans le métier, 19 % des répondants avouent éprouver une certaine sécurité, surtout quand ils pensent à la retraite. En effet, ils estiment que les enseignants à la retraite perçoivent en pension au moins les deux tiers de leur salaire net – ce qui n’est pas le cas des travailleurs du secteur privé qui peuvent avoir de meilleurs salaires mais de moins bonnes pensions de retraite.
Un enseignant peut améliorer sa situation financière grâce aux concours auxquels il est éligible. En effet, les enseignants réussissent en grand nombre les concours ouverts aux agents de l’État, tels que les concours d’entrée à l’École nationale d’administration et à l’École nationale des travailleurs sociaux spécialisés ou les concours de recrutement des élèves-inspecteurs. L’opportunité de nourrir de telles ambitions pousse les enseignants à rester et à progresser dans ce métier. Des vacances scolaires relativement longues font que certains travailleurs d’autres secteurs envient les enseignants, qui bénéficient de deux mois de congés lors des grandes vacances, en plus des congés de fin d’année et de la fête de la jeunesse. Ces moments permettent à certains de voyager ou de se livrer à des activités génératrices de revenus additionnels.
Synthèse comparative
Que retenir de ces quatre cas ? Le premier constat est que, dans les quatre pays, la contractualisation/dé-fonctionnarisation a engendré des effets généralement négatifs, et notamment une perception négative de la profession enseignante. La pénibilité du travail, un traitement salarial souvent bas comparativement à celui d’autres emplois exigeant le même niveau de scolarité, les possibilités limitées d’entreprendre des activités génératrices de revenu supplémentaire, etc., ont donné naissance à des mouvements de revendication qui ont entraîné des ajustements aux politiques conduites au fil des années. Une fonctionnarisation progressive et sélective des enseignants contractuels a ainsi été entreprise au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, tandis que le Burkina Faso a procédé à une re-fonctionnarisation totale après quinze ans de mise en œuvre.
Les questions d’attractivité de la profession enseignante et d’attrition/rétention des enseignants semblent se poser différemment dans les quatre pays observés, comparativement aux pays à haut revenu. Dans un contexte de taux de chômage relativement élevé chez les jeunes, l’enseignement primaire attire faute de mieux et se présente pour beaucoup d’entre eux comme un tremplin pour accéder à mieux au sein du système éducatif ou dans d’autres secteurs de développement. En ce sens, la réforme de la formation initiale des enseignants en cours au Burkina Faso et ses divers effets méritent une attention au cours des prochaines années. Il en va de même de l’impact professionnel et social qu’a sur les enseignants la crise sécuritaire que vit ce pays depuis 2016, et plus globalement la région du Sahel. Tout laisse croire que cet impact est plus important chez ce personnel que chez d’autres agents publics, du fait de la dissémination des écoles dans tous les villages et, partant, de leur vulnérabilité. Enfin, il nous apparaît aussi pertinent de chercher à comprendre si les déterminants de l’attractivité et les facteurs d’attrition identifiés au Sénégal se présentent dans des proportions semblables dans les trois autres pays.