Auteur : Unicef
Site de publication : UNICEF
Type de publication : Rapport
Date de publication : Décembre 2021
Objectifs de l’étude
Les pays subsahariens œuvrent depuis de longues années à introduire les langues locales dans leur système éducatif, aux côtés des langues officielles héritées de leur histoire coloniale. Cette démarche vise non seulement à adapter l’éducation et la formation aux milieux de vie des populations, mais aussi à améliorer la qualité de l’éducation.
En effet, les analyses critiques du système monolingue « classique » ont mis en évidence le fait que les enfants qui débutent leur scolarité dans une langue seconde sans avoir acquis les bases dans leur langue première sont confrontés à des difficultés importantes d’apprentissage dans toutes les disciplines.
A contrario, les études ont prouvé que la mise en œuvre d’une didactique bilingue (en langue première et en langue seconde) présentait de nombreux avantages (cognitifs, identitaires et économiques) aussi bien pour les élèves que pour leurs familles et les États.
Les objectifs de ces études étaient les suivants :
- Évaluer les différentes initiatives d’éducation biplurilingue en cours au Burkina Faso, Mali et Niger, en analysant l’efficacité de ces initiatives et les résultats des apprentissages des enfants (en comparaison avec l’enseignement et l’apprentissage dans des écoles «monolingues en langue française») ;
- Évaluer les différentes initiatives d’éducation biplurilingue en cours dans les trois pays en termes de forces, faiblesses, leçons apprises, et leur potentiel pour une mise à l’échelle ;
- À partir des leçons apprises : proposer des stratégies et des outils pour une éventuelle généralisation de l’enseignement bi-plurilingue « langues premières – langues française » dans chacun de ces pays.
Résultats
Situés dans la bande sahélienne, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont le français comme langue officielle et comme langue principale d’enseignement dans leur système éducatif.
Les pays subsahariens œuvrent depuis de longues années à introduire les langues locales dans leur système éducatif, aux côtés des langues officielles héritées de leur histoire coloniale. Cette démarche vise non seulement à adapter l’éducation et la formation aux milieux de vie des populations, mais aussi à améliorer la qualité de l’éducation
Dans ces trois pays, l’enseignement bi-plurilingue est donné comme étant à la fois le vecteur d’une éducation de qualité, permettant l’amélioration des résultats d’apprentissage des élèves et l’adaptation des enseignements aux contextes de vie des enfants. Il est également guidé et motivé par une volonté largement partagée de promouvoir les cultures et les langues nationales.
Les modèles de bilinguisme de ces trois pays ne sont pas explicitement définis dans les textes réglementaires, ni dans les programmes.
Cependant, il ressort des échanges avec les enseignants et les directeurs d’écoles bilingues que le bilinguisme scolaire mis en œuvre dans les trois pays de l’étude est plutôt transitionnel, même si certains responsables éducatifs parlent de bilinguisme additif.
Dans toutes les écoles bilingues concernées par cette étude, la L1 est en effet introduite dès le début du cycle d’enseignement primaire, mais elle est progressivement supplantée par la L2 qui finit donc par devenir l’unique médium d’enseignement à partir de l’année 3 ou 4.
Pourtant, de nombreuses études ont prouvé que « les modèles de langues d’enseignement qui suppriment la première langue comme principal support d’enseignement avant la 5e année risquent de conduire la plupart des élèves à l’échec » et, a contrario, « les modèles de langues d’enseignement qui conservent la première langue comme principal support d’enseignement pendant 6 ans peuvent donner de bons résultats dans les contextes africains, sous réserve de disposer de ressources suffisantes.
Pour être opérationnel, le cadre pédagogique relatif au bilinguisme doit être explicité à travers des contenus de formation des enseignants adéquats et par la production de matériels didactiques et pédagogiques assortis.
Or, l’étude conduite dans les trois pays a montré que la formation du personnel enseignant et du personnel d’encadrement chargés de la mise en œuvre de l’enseignement bilingue est inadaptée, insuffisante, voire inexistante dans certaines régions concernées par les expérimentations. Ce manque concerne aussi bien la formation continue que la formation initiale des acteurs du bi-plurilinguisme scolaire.
De même, le matériel didactique et pédagogique manque de manière récurrente dans les classes bilingues des trois pays. Dans certaines situations, ces matériels existent mais leur production et leur diffusion sont insuffisantes. Dans d’autres cas (pour certaines langues ou certains niveaux de classe avancés), ces ressources n’existent pas.
Selon les données collectées dans le cadre de cette étude, il y aurait en effet environ 240 écoles bilingues au Burkina Faso, 6 000 au Mali et plus de 5 000 au Niger.
Pourtant, de nombreuses études ont prouvé que « les modèles de langues d’enseignement qui suppriment la première langue comme principal support d’enseignement avant la 5e année risquent de conduire la plupart des élèves à l’échec » et, a contrario, « les modèles de langues d’enseignement qui conservent la première langue comme principal support d’enseignement pendant 6 ans peuvent donner de bons résultats dans les contextes africains, sous réserve de disposer de ressources suffisantes
Mais, lors des enquêtes de terrain, il est apparu que de nombreuses écoles répertoriées comme étant « des écoles bilingues » fonctionnaient en réalité de manière monolingue, uniquement en français. Beaucoup d’enseignants de classes bilingues, faute de formation, d’outils ou de suivi, ont en effet tendance à animer leurs cours comme ils l’avaient toujours fait auparavant, uniquement en français.
Les blocages dans la mise en œuvre du biplurilinguisme scolaire
Comme énoncé précédemment, le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont officiellement engagés en faveur d’une extension (Burkina Faso) ou d’une généralisation (Mali et Niger) de l’enseignement biplurilingue, comme le prouvent les cadres juridiques et politiques de ces trois pays. Mais de nombreuses lacunes institutionnelles ont été identifiées par les personnes interviewées lors de l’enquête, dans les trois pays.
Parmi les principaux blocages identifiés dans les trois pays, notons :
- Le manque de ressources pédagogiques dans certaines langues ;
- Le manque de ressources bilingues (notamment en ce qui concerne le transfert de connaissances de la L1 vers la L2) ;
- Lorsque les ressources existent, se pose le problème de l’acheminement de ces dernières dans les écoles bilingues ;
- Le manque de prise en compte de la didactique biplurilingue dans la formation initiale et continue des enseignants ;
- Les problèmes de recrutement et d’affectation des enseignants de classes bilingues ;
- L’insuffisance de suivi de proximité des enseignants de classes bilingues.
- Le manque d’évaluation des initiatives / projets / innovations / expérimentations mis en œuvre dans le cadre de l’enseignement bilingue afin de capitaliser les acquis ;
- L’absence de système de suivi-évaluation visant à démontrer concrètement les résultats d’apprentissages avérés des dispositifs bilingues ;
- Les blocages dans la concrétisation du transfert de compétences aux collectivités locales dans le cadre des projets de décentralisation ;
- L’insuffisance d’un dispositif efficace de suivi et d’accompagnement de la mise à l’échelle de la réforme nationale ;
- Le manque de données statistiques fiables et à jour concernant les écoles bilingues ;
- L’absence de textes réglementaires visant à organiser dans la pratique la mise en œuvre du bilinguisme scolaire ;
- L’absence d’une structure chargée de la planification linguistique scolaire, du pilotage, de suivi et de la coordination avec les autres structures en matière de réforme bilingue.
- L’insuffisance des actions de sensibilisation des populations sur les avantages de l’enseignement bilingue fondés sur des résultats avérés d’expérimentations bi-plurilingues.
Recommandations dans la perspective de la généralisation ou de l’extension de l’enseignement bilingue
Des textes législatifs et administratifs, des politiques sectorielles et des stratégies d’extension ou de généralisation de l’enseignement bi-plurilingue ont été établis et témoignent d’une volonté politique d’engagement dans la réforme bilingue dans les trois pays. Cependant, ce cadre juridique et institutionnel général attend une impulsion pratique. En effet, il ne peut ni efficacement fonctionner, ni produire de résultat sans un plan d’action prenant appui sur un état des lieux objectif, avec une planification claire des actions à entreprendre au niveau des différentes composantes du projet de généralisation.
Mais, lors des enquêtes de terrain, il est apparu que de nombreuses écoles répertoriées comme étant « des écoles bilingues » fonctionnaient en réalité de manière monolingue, uniquement en français. Beaucoup d’enseignants de classes bilingues, faute de formation, d’outils ou de suivi, ont en effet tendance à animer leurs cours comme ils l’avaient toujours fait auparavant, uniquement en français
La promotion des langues nationales, vecteurs des cultures nationales, constitue une première étape nécessaire ; elle a été accomplie dans les trois pays. Il convient désormais, dans l’optique d’une extension du bilinguisme scolaire, de rationaliser la politique linguistique éducative et d’effectuer les choix appropriés concernant les langues nationales à enseigner en fonction des localités, des usages linguistiques dans ces localités, de la carte scolaire et des ressources humaines capables d’assurer cet enseignement. Cette étape est certes sensible, parce qu’elle touche, entre autres, aux identités et aux rapports entre les différents groupes qui composent les sociétés. Elle est cependant nécessaire. Une telle politique pourrait être l’occasion de préciser ou de redéfinir le statut et les fonctions scolaires de la langue officielle, notamment dans ses rapports aux langues nationales enseignées.
La conception conforme au bilinguisme et la disponibilité d’outils et documentations adéquats constitue un des points névralgiques de la généralisation. Nos enquêtes ont montré en effet des dysfonctionnements au niveau de la conception, puis de la mise à disposition des outils pédagogiques, ce qui préjudiciable à l’application du bilinguisme. Il s’agit donc de doter tous les acteurs de matériel pédagogique de qualité, adapté aux besoins, pertinent au regard de la formation reçue, en quantité suffisante et distribué à temps.
Ce matériel doit concerner tous les niveaux selon la progressivité convenue, couvrir les disciplines au programme et répondre aux besoins de tous les acteurs : élèves, enseignants et encadreurs.
Conclusion
L’introduction des langues nationales dans le système éducatif, à côté du français, n’est pas nouvelle au Burkina Faso, au Mali et au Niger, elle s’inscrit dans l’histoire récente. La première réforme bilingue au Mali date de 1962. Celles du Burkina Faso, de 1979. La première expérimentation bilingue au Niger remonte quant à elle à 1973.
Actuellement, ces trois pays sont toujours engagés sur la voie du bi-plurilinguisme scolaire. Les textes législatifs préconisant l’intégration des langues nationales dans le système éducatif, avec des intentions d’extension ou de généralisation de la réforme bilingue le prouvent. Cependant, en dépit des efforts colossaux consentis par différents acteurs nationaux et bilatéraux en vue de capitaliser les acquis de l’expérience malienne de l’éducation bilingue, beaucoup reste à faire.
Aussi, pour que le bilinguisme scolaire soit généralisé, des textes réglementaires doivent être rédigés aux niveaux national et régional et une structure doit être mise en place pour organiser dans la pratique les différentes actions liées à la mise en œuvre du bilinguisme. Et cela, aussi bien aux niveaux de la formation des acteurs éducatifs, de l’instrumentation des langues, de la production de ressources didactiques et pédagogiques destinées aux classes bilingues, de la gestion et le suivi des enseignants de classes bilingues que de l’évaluation, la capitalisation et l’harmonisation des pratiques bilingues.