Auteur : Marie-May de Greslan
Site de publication : Institut du Genre en Géopolitique
Type de publication : Article
Date de publication : Février 2024
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L’accès à l’éducation pour tous·tes est le quatrième objectif de développement mis en évidence par l’ONU en 2015, enjeu majeur du XXIème siècle. Pourtant, si le sujet de l’éducation a été étudié à maintes reprises sous le prisme du genre, ou du handicap, peu de recherches ont été menées sur les thèmes croisés de l’accès à l’éducation des filles handicapées. Dans une étude réalisée en 2020, l’ONG internationale Handicap International alerte justement sur le difficile accès à l’éducation des filles handicapées en Afrique de l’Ouest, une zone géographique où le taux d’enfants exclus de l’école est le plus élevé au monde.
La notion de handicap a évolué à partir des années 1980, passant d’une approche biomédicale, validiste, qui estime que c’est à la personne handicapée de trouver des solutions pour « surmonter » son handicap, à une approche sociale qui distingue la notion d’incapacité, perçue comme une limitation fonctionnelle de l’individu, et la notion de handicap, « comprise comme l’ensemble des situations de désavantage, de discrimination et d’oppression subies par les personnes vivant avec des incapacités ».
La situation éducative en Afrique subsaharienne en chiffres
En 2022, l’UNESCO estime que le nombre d’enfants et de jeunes de 6 à 18 ans qui ne vont pas à l’école dans le monde s’élève à 244 millions. Néanmoins, ce nombre global reflète une importante disparité selon les zones géographiques. Plus de 40% de ces enfants déscolarisés vivent en Afrique subsaharienne. Parmi eux, une nouvelle disparité apparaît : l’écart de scolarisation entre les filles et les garçons. En 2021, on estime que 22% des filles ne sont pas scolarisées contre 18% des garçons en Afrique subsaharienne. Néanmoins, de grandes différences régionales apparaissent au sein de cette région. Au Tchad par exemple, pour 100 garçons, seulement 49 filles terminent le premier cycle du secondaire (le collège). A l’inverse, au Burundi et au Sénégal, 83 garçons achèvent le secondaire pour 100 filles.
En parallèle, il est très difficile d’apporter un chiffre fiable sur le nombre d’enfants handicapés dans le monde. L’UNICEF considère qu’en 2021, il existe 240 millions d’enfants dans le monde souffrant d’une forme de handicap. Dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne, moins de 5% des enfants handicapés sont inscrits à l’école primaire. Par ailleurs, aucune donnée n’a été trouvée concernant le pourcentage de filles handicapées accédant à l’éducation en Afrique subsaharienne. De fait, très peu d’études se sont penchées sur ce sujet, notamment car la problématique éducative prend encore rarement en compte l’intersection entre le genre et le handicap. Cependant le parcours scolaire des garçons handicapés en Afrique subsaharienne est plus long que celui des filles handicapées, ce qui pose la question de leur accès à l’éducation sous deux angles : leur possibilité d’entrer à l’école dans un premier temps, puis leur poursuite des études sur plusieurs cycles scolaires.
Les principales causes du difficile accès des filles handicapées à l’éducation : pauvreté, manque de structures adaptées et violences genrées
Les principales études consacrées au lien entre handicap et pauvreté en Afrique subsaharienne font état d’un cercle vicieux entre les deux phénomènes sociaux. La pauvreté crée du handicap à cause du manque de ressources de première nécessité, comme la nourriture ou les médicaments, et le handicap augmente la pauvreté, à cause des dépenses qu’il peut générer. Certains parents doivent dès lors rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants, ce qui contribue à augmenter la pauvreté du foyer.
Les foyers se confrontent également au manque de moyens et d’infrastructures à leur disposition ou au sein des établissements scolaires afin d’accueillir leur enfant handicapé. Lorsque les infrastructures de transport ne sont pas présentes ou adaptées, vivre dans une zone rurale par rapport à la ville est un facteur aggravant pour l’accès à l’éducation des enfants handicapés. Au sein même des établissements scolaires, les infrastructures ne sont pas toujours adaptées. Par exemple, les installations relatives à la gestion de l’hygiène menstruelle dans les écoles en Afrique de l’Ouest et du Centre sont souvent inadaptées aux filles handicapées, ce qui augmente leur taux d’absentéisme pendant les périodes de menstruations.
Les enseignant·es et le personnel scolaire ne sont également pas toujours correctement formés à la prise en charge d’enfants handicapés, ou n’ont pas accès au matériel nécessaire, ou bien n’ont tout simplement pas le temps de proposer un suivi personnalisé.
En plus du manque d’infrastructures adaptées, la perception encore négative des personnes handicapées conduit aussi les parents à s’opposer davantage au fait d’envoyer leurs filles à l’école afin de les protéger.
Les axes d’amélioration de l’accès des filles handicapées à l’éducation : implication des pouvoirs publics, école inclusive et valorisation sociale.
L’intégration des filles handicapées au système scolaire s’articule autour de trois idées principales : renforcer l’implication des pouvoirs publics nationaux et internationaux dans la question spécifique de l’éducation des filles handicapées, ensuite développer l’éducation inclusive au sein des écoles ordinaires et enfin faire évoluer les mentalités à l’encontre des personnes handicapées. Pour améliorer l’accès à l’éducation des filles handicapées, il n’y a pas de solution unique, mais bien une pluralité de stratégies qui doivent s’adapter à chaque pays, par exemple selon qu’il a déjà ou non atteint l’éducation primaire universelle, selon son engagement politique plus ou moins fort envers l’égalité des femmes, ou selon la solidité de son administration.
L’éducation inclusive a pour objectif de développer pleinement le potentiel de chaque enfant, sans distinction en adaptant le système éducatif à ses besoins, notamment ceux des groupes vulnérables et défavorisés. Toutefois, la mise en place de l’éducation inclusive dans les écoles ordinaires reste très insuffisante pour couvrir les besoins des enfants handicapés. L’éducation inclusive, promue dans l’objectif n°4 de développement de l’UNESCO, se présente comme un levier d’amélioration de l’accès à l’éducation pour tous·tes. Handicap International recense par exemple au Niger seulement 61 écoles accueillant des enfants handicapés dont 27 écoles intégratrices (16 pour enfants avec une déficience visuelle et 11 pour enfants avec une déficience auditive), 4 écoles spécialisées et 30 écoles inclusives.