Auteur : Hamidou Dia
Site de publique : AFD
Type de publication : Papiers de recherche
Date de publication : Juillet 2022
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Une recherche sur l’ÉDUAI : contexte et objectifs
Le projet EDUAI trouve son origine dans les échanges entre participants à un colloque international qui s’est tenu à Bordeaux en 2015 sur le thème : « Gouverner l’école au Sud : politiques, acteurs et pratiques ». Les discussions font ressortir un constat partagé par les protagonistes du colloque : l’offre éducative arabo-islamique, pourtant très présente en Afrique, reste peu couverte par les recherches scientifiques portant sur l’éducation.
Ce travail de recherche cherche d’abord à identifier de manière précise l’offre éducative arabo-islamique dans les pays ciblés par l’étude (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad). En effet, si cette formation est quasiment concomitante de l’apparition de la religion musulmane dans l’espace géographique délimité, elle s’est enracinée et transformée au fil des siècles, de sorte que des confusions à la fois du point de vue de la définition et de la forme qu’elle revêt concrètement sont récurrentes, appelant ainsi à une clarification sémantique et une analyse de ses supports, de ses enseignements, de ses formateurs, et des réalités qui sont les siennes à travers le temps et dans l’espace cible du Sahel.
Comprendre l’offre d’éducation arabo-islamique
L’éducation arabo-islamique recouvre plusieurs réalités dans le Sahel contemporain. Cette diversité tient à la pluralité des institutions qui la portent. Deux grands modèles d’établissements permettent de visualiser l’offre : on a, d’une part, un support de formation popularisée sous l’appellation d’école ou foyer coranique – l’éducation est généralement centrée sur la mémorisation et, à un stade avancé, l’explicitation du coran ; on a, d’autre part, la médersa (qui tire son origine de l’arabe madrassa), c’est-à-dire une institution qui dispense l’enseignement islamique en utilisant généralement l’arabe comme langue d’apprentissage, et qui vise à inculquer aux apprenants des connaissances en sciences religieuses – l’histoire de l’islam, le droit musulman, l’exégèse des textes sacrés, la biographie du prophète, la doctrine de l’unicité de Dieu, etc., autant que des savoirs relevant de disciplines séculières – les mathématiques ou la géographie, par exemple. Il arrive, parfois, qu’une médersa soit bilingue, en ce cas, les cours se font en français et en arabe. Ces deux modèles admettent plusieurs variantes qui doivent surtout aux évolutions politiques, éducatives et socio-historiques dans les pays concernés par cette étude. Aucun des deux n’est figé.
Dans le premier modèle qui se décline différemment dans les principales langues de communication de la plupart des États sahéliens, il y a la version ancienne qui renvoie aux premiers âges, mais aussi à l’essor de l’islam dans ces contextes ; ensuite, des formats nouveaux sont apparus ces vingt dernières années avec les politiques de modernisation, de rénovation et de libéralisation accentuée, et qui, outre les conditions et l’environnement de travail, touchent parfois au contenu des enseignements avec l’introduction de matières séculières ou d’autres langues telles que le français ou l’anglais (par exemple au Sénégal, au Mali, et dans une moindre mesure au Niger).
Il faut mentionner ici la spécificité mauritanienne de la mahadra, c’est-à-dire un centre d’études approfondies du coran, de la langue arabe et du fiqh (jurisprudence islamique) ; l’apprenant peut y choisir son maître, son école, sa discipline et son niveau d’enseignement ; si elle connaît des évolutions, elle n’en est pas moins devenue un point de repère dans la réflexion et l’action publique éducative de ce pays.
L’enseignement arabo-islamique est d’abord supporté par les familles et les communautés à travers le paiement de frais d’inscription pratiqués par les écoles, instituts et universités. Une spécificité peut ici être mentionnée dans le cas des écoles coraniques : souvent l’éducation est gratuite; mais elles sont financées soit par des donateurs privés qui peuvent être d’anciens apprenants réunis dans des associations, soit par des membres des élites des confréries religieuses qui veulent soutenir l’enseignement du coran
Les effets des dynamiques du dehors sur les configurations nationales de l’ÉDUAI
Les transformations enregistrées dans l’offre éducative des pays étudiés ont partie liée avec la circulation de modèles institutionnels et pédagogiques venus d’ailleurs. Elles ont concerné à la fois les cadres de formation, mais aussi leur enveloppe idéologico-théologique. C’est un phénomène que l’on peut illustrer par le cas nigérien. Dans les années 1980, les écoles coraniques classiques générées par les confréries religieuses musulmanes se sont trouvées concurrencées par des écoles confessionnelles privées plus connues sous le nom d’écoles coraniques modernes.
Celles-ci sont portées par un mouvement réformiste appelé Izala (le nom complet est : Izalat al Bida’a wa maqamat al Sunna, c’est-à-dire Suppression de l’innovation et restauration de la tradition prophétique). Le mouvement Izala est né au Nigéria dans les années 1970. Il a pénétré en profondeur certaines régions nigériennes par un usage habile des médias ; son offre a répondu à des aspirations de pans importants de la société. C’est l’un des promoteurs les plus actifs de l’éducation arabo-islamique dans le pays.
Les publics de l’ÉDUAI : caractéristiques, motivations, renouvellement et devenir socio-professionnel
L’éducation arabo-islamique est une voie majeure de socialisation des enfants, des adolescents et des jeunes dans l’espace sahélien. La fréquentation de cette offre éducative est cependant fonction du type de support, de l’institution choisie. On a donc identifié deux grands modèles avec des variantes : les « écoles » ou « foyers » coraniques et les médersas utilisant ou le français et l’arabe ou les deux langues.
Réformes et tensions autour de l’ÉDUAI
Un regain d’intérêt des pouvoirs publics pour l’enseignement arabo-islamique a été enregistré ces dernières années. Toutefois, ce sont les écoles coraniques qui ont été au cœur des débats, en raison de leur situation d’informalité, et de la sensibilité sociale de leur statut. Certes, ces réformes portent des considérations générales sur l’éducation religieuse, mais les discussions ont concerné principalement ces écoles coraniques.
Au Sénégal, par exemple, les négociations entreprises par l’État avec les organisations représentatives de ce type d’institutions appelées daaras en wolof – principale langue de communication – ont débouché sur la rédaction d’un projet de loi censé réglementer et moderniser ces écoles coraniques.
Les sources de financement de l’ÉDUAI
L’enseignement arabo-islamique est d’abord supporté par les familles et les communautés à travers le paiement de frais d’inscription pratiqués par les écoles, instituts et universités. Une spécificité peut ici être mentionnée dans le cas des écoles coraniques : souvent l’éducation est gratuite; mais elles sont financées soit par des donateurs privés qui peuvent être d’anciens apprenants réunis dans des associations, soit par des membres des élites des confréries religieuses qui veulent soutenir l’enseignement du coran.
L’éducation arabo-islamique est une voie majeure de socialisation des enfants, des adolescents et des jeunes dans l’espace sahélien. La fréquentation de cette offre éducative est cependant fonction du type de support, de l’institution choisie. On a donc identifié deux grands modèles avec des variantes : les « écoles » ou « foyers » coraniques et les médersas utilisant ou le français et l’arabe ou les deux langues
Les communautés interviennent aussi à travers diverses modalités. Au Sénégal, par exemple, des femmes soutiennent les écoles coraniques (elles sont ainsi appelées ndayu daara, ce sont en quelque sorte des marraines en wolof) ; elles s’engagent à titre individuel ou collectif à assurer la nourriture quotidienne aux apprenants, à leur prodiguer des soins d’hygiène ou encore à leur payer des médicaments en cas de maladie.
Dynamiques sous-régionales et ÉDUAI
Le contexte sahélien est aussi marqué par une conflictualité dont une des modalités de légitimation par certains groupes armés est la défense de la religion, en particulier l’islam. L’une des questions que se posent plusieurs acteurs et observateurs internes et externes est de savoir si la situation sécuritaire violente qui prévaut dans certaines parties de l’espace sahélien n’est pas liée aux enseignements que reçoivent les enfants et les jeunes dans les institutions d’éducation islamique. Les résultats de cette recherche montrent globalement qu’aucune causalité directe n’est établie entre le radicalisme et les enseignements dispensés dans ces institutions. Il faut préciser cependant que les enquêtes n’ont pas été menées dans les zones de conflits, par respect des dispositions des États et les consignes des institutions d’enseignement supérieur et de recherche aux équipes engagées dans ce projet scientifique.
Recommandations : des leviers pour l’action
Il est nécessaire de comprendre la demande éducative que formulent les populations. Il y a une exigence de formation, notamment en fonction des croyances et des savoirs de l’Islam. C’est cependant une demande hétérogène, au sein même des espaces nationaux. Cette demande plurielle ne signifie pas rejet de l’institution scolaire ; elle exprime un besoin d’écoute à traduire à travers des politiques concrètes qui rassurent les parents convaincus que leurs enfants doivent pouvoir avoir les chances d’être scolarisés tout en restant des croyants avertis. Pour l’instant l’enseignement religieux reste optionnel dans les établissements publics, et peu d’heures lui sont consacrées, ce qui amène des parents à leur accorder peu crédit en la matière, et à inscrire leurs enfants dans des écoles privées.