Auteur : Roland Berger
Organisation affiliée : Women in Africa Philanthropy (WIA)
Type de publication : Rapport
Date de publication : juin 2019
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Introduction
Au niveau mondial mais peut-être encore plus en Afrique, l’entrepreneuriat est un véritable vecteur d’autonomisation des femmes et offre d’intéressantes opportunités de croissance économique. Avec le taux le plus élevé au monde de femmes entrepreneuses (24%), le continent africain fait de l’entrepreneuriat un facteur d’émancipation.
Qui sont ces entrepreneuses ? Quelles sont leurs motivations et les freins à leur développement ? Quel regard portent-elles sur leur engagement en tant qu’entrepreneurs ou simples femmes ?
Les femmes interrogées dans le cadre de cette étude estiment que la voie de l’entrepreneuriat est la meilleure pour qui cherche à avoir un impact positif direct sur la société. Néanmoins, malgré leur détermination, on observe que l’écart entre rêve et réalité reste important et nombreuses malheureusement sont celles qui assistent à la périclitation de leur aventure entrepreneuriale après seulement quelques mois d’existence. Cette étude cherche à dresser des recommandations qui pourraient servir à l’entrepreneuriat et favoriser les projets portés par des femmes.
L’entrepreneuriat : un choix de carrière attractif
Un rêve d’outsider
L’entrepreneuriat attire de nombreux novices. Une large majorité des étudiants et des professionnels interrogés envisagent une carrière dans l’entrepreneuriat.
Il est intéressant de noter que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter lancer leur activité. Parmi elles, les étudiantes semblent plus enclines à s’engager dans l’aventure entrepreneuriale que les femmes qui ont déjà une situation professionnelle stable. Bien que la carrière entrepreneuriale jouisse d’une bonne réputation, il semblerait qu’hommes et femmes n’en aient pas tout à fait la même perception. Les femmes seraient moins enclines à considérer l’aventure entrepreneuriale comme prestigieuse. Ainsi, elles ne s’engageraient pas dans une aventure entrepreneuriale pour bénéficier d’une réputation avantageuse.
Passé la phase de création, la recherche d’impact reste un élément clé de l’engagement des entrepreneuses. Elles estiment nécessaire de développer une activité en accord avec leurs principes
S’engager pour changer le monde
Les motivations des hommes et des femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat diffèrent. Alors que les hommes cherchent à devenir leur propre patron et à acquérir leur indépendance en se lançant dans l’entrepreneuriat, les femmes sont guidées par la recherche d’impact positif (84%) avec une volonté profonde de changer le monde et leur environnement. In fine, les entrepreneuses ne créent pas leur entreprise à des fins d’enrichissement : seules 16% des étudiantes et professionnelles interrogées citent «devenir riche » comme une des finalités de leur engagement. De surcroît, les femmes sont confiantes dans leurs capacités à diriger une entreprise, quelle que soit leur situation actuelle. La vaste majorité des femmes considèrent qu’elles ont les compétences nécessaires pour lancer leur affaire. Etonnamment, les étudiantes ont davantage confiance en elles que leurs homologues masculins. A l’inverse, alors que la courbe de confiance des femmes diminue au cours de leur carrière, celle des hommes augmente.
Passé la phase de création, la recherche d’impact reste un élément clé de l’engagement des entrepreneuses. Elles estiment nécessaire de développer une activité en accord avec leurs principes.
L’entrepreneuriat : choix ou nécessité?
Les femmes entrepreneurs estiment qu’elles se sont lancées dans l’entrepreneuriat par choix : seules 9% d’entre elles citent le chômage, et donc la nécessité, comme facteur déterminant. A l’inverse, plus de 30% des hommes sondés ont monté leur startup parce qu’ils ne trouvaient pas de travail. Pour autant, ce choix est contraint pas un spectre de possibilités restreint. Comme démontré dans l’étude de 2018, un taux de chômage élevé favorise l’entrepreneuriat en Afrique. Gladys Nelly Kimani, PDG de Class Teacher, ajoute que même les salariés peuvent être intéressés par l’entrepreneuriat, voyant dans cette activité un moyen d’augmenter leurs revenus.
L’entrepreneuriat : un secteur qui doit encore respecter ses promesses
Un manque de robustesse
Les femmes interrogées sont à la tête de startups plus récentes que celles de leurs homologues masculins. De plus, la plupart des jeunes pousses dirigées par des femmes n’emploient pas plus de dix personnes et la moitié d’entre elles ne sont pas profitables.
Une concentration sectorielle
Les secteurs investis par les femmes – principalement l’éducation et l’agriculture – se caractérisent par des marges plus faibles et des besoins d’investissements plus importants, ce qui limite les capacités de développement de ces entreprises. Ce déséquilibre sectoriel caractéristique de plusieurs économies africaines, ne permet pas de voir se multiplier les opportunités de développement pour les femmes. Aujourd’hui 60% de la population active africaine travaille dans l’agriculture alors que ce secteur ne représente que 12% du PIB total du continent. A l’inverse, les hommes investissent les secteurs de l’IT et de la finance, secteurs qui promettent des rendements bien plus attractifs. Les choix de spécialisation sont assez homogènes entre les groupes, mis à part dans les pays Traditionnels : les entrepreneurs Nord-Africains interrogés ont lancé leur affaire dans les secteurs de la recherche et des médias et de la communication.
Une pénétration restreinte des outils technologiques
Les entrepreneuses sont globalement en retard sur le plan technologique : la plupart d’entre elles ne déploient pas de solutions de high-tech. Il est intéressant d’observer la variété des dynamiques au sein du continent, notamment les différences sectorielles qui structurent le paysage de l’entrepreneuriat sur le continent africain : les entrepreneurs des pays anglophones semblent plus tournés vers la technologie, en particulier vers l’Intelligence Artificielle avec 12% des entrepreneuses qui affirment être spécialisées dans ces technologies, elles représentent une part 3 fois plus importante que dans les pays francophones. Le Google Artificial Intelligence Lab récemment ouvert au Ghana témoigne de cette dynamique géographique. Zoussi Isabelle Ley, directrice marketing de Complete Farmer, a une forte expérience entrepreneuriale dans les deux zones linguistiques. Selon elle, bien que le Sénégal et la Côte d’Ivoire soient les moteurs de la zone francophone, l’accès au capital et la circulation d’informations sont facilités dans les pays anglophones. Elle ajoute : « Ceci permet le développement d’un écosystème collaboratif».
Trois obstacles principaux à la professionnalisation de l’entrepreneuriat
Un manque de formation
La plupart des entrepreneurs semblent manquer de compétences techniques et sectorielles mais semblent à l’aise avec leurs compétences non-techniques plus liées au savoir-être. Plus assurées que les hommes dans ces domaines, les femmes sont confiantes quant à leurs capacités à diriger une équipe (76%) et à se constituer un réseau de contacts professionnels (64%). Cependant, les femmes déplorent quand même leur manque de formation techniques et sectorielles. 55% d’entre-elles, estiment que la formation technique est leur priorité et 50% expriment leur besoin d’améliorer leur expertise sectorielle.
Pour déterminer des axes de développement il faut comprendre l’origine de ces lacunes. Les dépenses pour l’éducation par personne sont assez faibles en comparaison aux moyens mis en œuvre dans les autres régions du monde. En moyenne, les gouvernements africains dépensent USD 153 par habitant et par an pour l’éducation secondaire, contre USD 756 en Europe. De plus, filles et garçons ne sont malheureusement pas sur un pied d’égalité en termes d’accès à l’éducation et, comme démontré dans notre précédente étude, les femmes ont encore un long chemin à parcourir pour rattraper l’avance des hommes.
Des interlocuteurs trop peu nombreux
Les entrepreneurs reçoivent-ils suffisamment de soutien externe ? Rien n’est moins sûr. La moitié des répondants dénoncent le manque de soutien externe. Selon eux, les entrepreneurs n’ont pas assez d’information sur les moyens à mettre en œuvre pour attirer des acteurs extérieurs et le nombre de structures de soutien reste insuffisant. Corine Maurice Ouattara est formelle : l’incubation de sa startup n’est devenue possible que lorsque que celle-ci a atteint un niveau de développement avancé.
Les secteurs investis par les femmes – principalement l’éducation et l’agriculture – se caractérisent par des marges plus faibles et des besoins d’investissements plus importants, ce qui limite les capacités de développement de ces entreprises
Les chiffres corroborent la perception des entrepreneurs. La proportion d’accélérateurs et d’incubateurs par habitant est très faible sur le continent : en moyenne, il y a 0,11 incubateurs / accélérateurs pour 1 000 000 d’habitants. Ainsi, l’Afrique compte 36 fois moins d’incubateurs et d’accélérateurs que l’Amérique du Nord et 17 fois moins que l’Europe alors que la population d’entrepreneurs est beaucoup plus importante. Par ailleurs, les incubateurs / accélérateurs existant sont inégalement répartis sur l’ensemble du territoire : les opportunités dépendent du pays de lancement de l’activité. Les pays émergents disposent de plus de structures d’accélération et d’incubation avec 0,24 accélérateurs/incubateurs pour 1 000 000 d’habitants. L’Afrique du Sud et le Nigeria détiennent ainsi près de la moitié du total des accélérateurs et incubateurs du continent africain.
Le manque de conseil financier s’ajoute à la difficulté d’accéder à des structures de financement. Ce double manque rend les processus de levées de fonds particulièrement laborieux, notamment pour les femmes.
Combattre les inégalités de genre
Dans l’ensemble, les femmes entrepreneuses se sentent désavantagées par rapport aux entrepreneurs, une perception non partagée par ces derniers. Seulement 36 % d’entre eux estiment que les femmes sont désavantagées, contre 70 % des femmes. Cette perception pourrait finalement venir d’un manque de confiance de leur part dans leur capacité à réussir, suivi par le difficile accès aux sources de financement. Ce sentiment est partagé par les femmes, qu’elle soit anglophone ou francophone. Cependant, il existe de nombreuses différences entre les groupes de pays : dans les pays Traditionnels, 82% des répondantes déclarent être désavantagés par rapport aux hommes entrepreneurs contre 70% dans les autres clusters. Les dynamiques culturelles tendent à exclure les femmes de la vie professionnelle, en particulier en Afrique du Nord, explique Hanae Bezad, PDG de Le Wagon.
Initiatives
Améliorer l’éducation des filles et des femmes
La formation des futurs entrepreneurs est un sujet complexe car elle couvre de nombreux domaines.
Pour Gladys Nelly Kimani, incubateurs et accélérateurs devraient chercher à fournir des formations sur le marketing et la finance : «Par exemple, un cours sur Comment payer ses impôts aurait été très utile ». Une grande majorité des entrepreneurs interrogés (93%) citent également la formation technique comme nécessaire au développement de l’entrepreneuriat féminin.
Renforcer les structures professionnelles
Lorsque Hanae Bezad a lancé Le Wagon à Casablanca, son objectif était de fournir des talents formés au codage à l’écosystème entrepreneurial émergent. Elle a participé à la production d’un manifeste pour les gouvernements dans le cadre de l’initiative i4policy. Par le biais de ce document, 144 directeurs de centres signataires, présents dans 43 pays, ont soumis leurs recommandations aux gouvernements pour faciliter le financement, la conclusion de deals et l’accès aux infrastructures. Sa force est d’être portée par des individus qui sont confrontés à la réalité des entrepreneurs dans leur vie quotidienne. Selon eux, la priorité doit être donnée à accroître la visibilité des institutions : à ce jour, obtenir la bonne information au bon moment est extrêmement difficile et la création d’entreprises est extrêmement contraignante. 78 % des femmes interrogées confirment que le processus d’accès au financement doit être simplifié. De leur point de vue, les gouvernements devraient également lancer de nouvelles politiques économiques et industrielles pour soutenir les entrepreneurs.
Améliorer les infrastructures financières et de télécommunication
Comme le montrait l’étude de 2018, la mise en place d’infrastructures adéquates faciliteraient l’épanouissement des projets entrepreneuriaux. Les opérateurs et les banques multiplient les concours et les prix pour les entrepreneurs. Ces initiatives montrent à quel point l’entrepreneuriat suscite l’intérêt sur le continent africain aujourd’hui. Mais ces sources de financements ou de couverture occasionnels ne répondent pas aux besoins des entrepreneurs qui ont besoin d’un accompagnement sur le long terme afin de structurer leur entreprise de façon pérenne.
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